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chapelle, son battoir à la main, s’apprêta à entrer dans la lice, plus par ressentiment contre Dominique que par intérêt pour Antonio.

Le prêtre, ayant vainement essayé de les ramener à des sentimens plus chrétiens, se servit, pour les apaiser, d’un argument qui manquait rarement son effet.

— Si les Zuccati vous entendent, leur dit-il, ils vont triompher de vos discordes, et s’imaginer que, grâce à leur douceur et à leur bonne intelligence, ils travaillent mieux que vous.

— C’est juste, dit Dominique le rouge en reprenant son tablier, nous viderons la querelle ce soir, au cabaret. Pour le moment, il ne faut pas donner d’armes contre nous à nos ennemis.

Les deux autres Bianchini se rangèrent à cet avis, et tandis que chacun d’eux chargeait sa raclette du ciment nouvellement préparé, le père Alberto, entrant en conversation, leur dit :

— Vous avez tort, mes enfans, de regarder les Zuccati comme vos ennemis. Ils sont vos émules, voilà tout. Sils travaillent d’après d’autres procédés que les vôtres, ils n’en reconnaissent pas moins le mérite de votre ouvrage. J’ai même entendu souvent leur premier apprenti, Bartolomeo Bozza, dire que votre cimentation était d’une qualité supérieure à la leur, et que les Zuccati le reconnaissaient de bonne foi.

— Quant à Bartolomeo Bozza, répondit Vincent Bianchini, je ne dis pas le contraire, c’est un bon ouvrier et un robuste compagnon. Je ne suis pas éloigné de lui faire un avantage pour l’embaucher à mon service. Mais ne me parlez pas de ces Zuccati. Il n’y a pas de pires intrigans dans le monde, et si leur talent répondait à leur ambition, ils évinceraient tous leurs rivaux. Heureusement la paresse les ronge ; l’aîné perd son temps à imaginer des sujets inexécutables, le plus jeune fait un travail de contrebande à San-Filippo, dont il mange le fruit avec des gens au-dessus de sa condition.

— L’astre des Zuccati pourrait bien tomber des nuées, malgré toutes les protections des peintres, dit l’envieux Dominique, si on voulait s’en donner la peine.

— Comment cela ? s’écrièrent les deux autres ; si tu sais un moyen de les humilier, dis-le, et que tes torts envers nous te soient remis.

— Je ne me soucie pas plus de vous que d’eux, répliqua Dominique : seulement, je dis qu’il n’est pas impossible de prouver qu’ils abusent de leur salaire, en faisant de mauvaise besogne, et que par conséquent ils volent les deniers de la république.

— Vous êtes méchant, messer Dominique, dit le prêtre avec sévé-