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tribune entend retentir des paroles auprès desquelles le fronton de M. David n’est qu’une œuvre inanimée ; car le statuaire n’a mis en présence de la Patrie, de l’Histoire et de la Liberté que les morts illustres, et cette imposante réunion, tout en inspirant la passion des grandes choses, n’a rien qui excite au mépris du présent. Impartiale et désintéressée, cette assemblée de grands hommes, qui reçoit le prix de son dévouement, encourage la foule à bien faire, mais ne la pousse pas aux luttes tumultueuses. Les vertus civiles occupent dans cette page immense autant de place que les vertus militaires ; pourquoi les premières seraient-elles sans autorité sur la foule ? pourquoi les secondes seraient-elles seules comprises ?

Nous ne pouvons croire que le ministère songe à mutiler le fronton de M. David. Si l’auteur a refusé de modifier sa composition, il a bien fait. Quoique le droit écrit accorde au pouvoir la faculté de cacher l’œuvre qu’il a payée, le bon sens public protesterait, nous n’en doutons pas, contre une pareille mesure ; car les 80,000 francs donnés à M. David par le ministère sont loin d’acquitter la nation envers le statuaire. Sans parler des dépenses matérielles, qui ont absorbé la moitié du salaire, et qui réduisent à 40,000 francs le prix de sept années de travail, nous croyons que la gloire entre, comme élément nécessaire, dans la récompense due à M. David. Il n’est pas plus juste de priver le statuaire de la gloire à laquelle il peut légitimement prétendre, en mettant son œuvre sous clé, que de priver un général d’armée de la gloire qu’il a conquise dans une bataille, en rayant son nom des bulletins victorieux. Les tribunaux, répondront les légistes, ne peuvent apprécier un pareil dommage. Le statuaire et le général d’armée sont payés ; la seule injustice dont nous puissions connaître se réduit à l’exécution incomplète des conditions convenues. L’administration a passé un traité avec le statuaire et l’homme de guerre pour un fronton et une victoire. Si toutes les conditions du traité ont été respectées, la plainte n’est qu’un enfantillage. Mais le bon sens parle plus haut que la loi écrite, et le bon sens veut que M. David obtienne la gloire qui lui appartient ; et comme la seule manière de réaliser l’espérance, de satisfaire au droit du statuaire, est de montrer son œuvre, il faut la montrer. Le ministère, nous l’espérons, éclairé par l’opinion publique, réduira au silence le mauvais vouloir du clergé, ou du moins ne pliera pas devant l’archevêque de Paris ; il comprendra qu’en mettant sous clé le portrait de Manuel, il s’expose à la raillerie. M. David obtiendra justice, et le fronton sera découvert.


Gustave Planche