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qu’il lui arrive de rappeler les monumens de l’art antique, c’est une rencontre plutôt qu’une imitation. Il est, avant tout, homme de son temps, et c’est à l’intelligence de son temps qu’il doit la meilleure partie de sa popularité. Pour sculpter dans le marbre ou la pierre les grands épisodes de notre histoire, il n’a pas besoin de faire violence aux affections traditionnelles de l’Académie ; il n’est séparé de la scène qu’il veut reproduire par aucune doctrine inviolable. Il se souvient de la Grèce et de l’Italie, comme tous les statuaires qui aiment sincèrement la beauté suprême ; mais pour se trouver face à face avec l’histoire de son pays, il n’est pas forcé de traverser une haie de statues et de bas-reliefs, hors de laquelle la quatrième classe de l’Institut ne voit pas de salut pour l’art moderne. Il sait la juste valeur de l’imitation, et voit dans les monumens de l’antiquité un conseil, un enseignement qui ne le dispense pas de l’invention. Résolu à l’indépendance, à la personnalité, ne comprenant pas son art comme l’expression obéissante d’une tradition immuable, mais comme soumis à la fois au passé par l’intelligence, à l’avenir par la volonté, il n’a qu’à être lui-même pour se trouver à la hauteur des sujets qu’il accepte. Il modèle sans effort la tête d’un général ou d’un orateur, et n’est jamais troublé dans l’achèvement de son œuvre par le souvenir d’Ajax ou de Périclès. C’est pourquoi la sculpture du fronton convenait parfaitement à son talent ; et si la composition de M. David mérite plusieurs reproches, nous croyons pouvoir affirmer que personne, parmi les sculpteurs contemporains, n’aurait exécuté les morceaux qui assurent à cette composition l’admiration unanime de tous les esprits exercés.

M. Nanteuil est loin d’être placé sur le même terrain que M. David, car il est tellement absorbé dans le culte de la tradition, qu’il ne représente absolument rien par lui-même. Pour se ranger à l’avis que nous énonçons, il suffit de jeter les yeux sur l’Alexandre de M. Nanteuil. Cette statue, qui est aux Tuileries depuis plusieurs mois, semble proposée comme une énigme à la sagacité des promeneurs, et jamais sans doute il ne se fût rencontré un Œdipe capable de baptiser cet inintelligible guerrier. Heureusement, la liste civile a bien voulu nous révéler le nom du héros sculpté par M. Nanteuil, et nous savons aujourd’hui que cette figure académique, dont l’attitude inspire à tous les spectateurs un rire si expansif, s’appelle Alexandre. Pourquoi Alexandre plutôt que Darius ? En vérité, je ne le devine pas ; car le casque et le bouclier sont loin de caractériser le conquérant choisi par M. Nanteuil. Il est évident que l’auteur s’est proposé exclusivement de composer une figure, et de montrer son savoir. Il s’est