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femmes livoniennes ; une walse enivrante, une danse admirée. Ses toilettes n’allaient qu’à elle ; son imagination les composait sans cesse, et, il lui en est échappé quelques secrets. Qu’on se rappelle la danse du schall, et cette toilette de bal dans laquelle on pose sur les cheveux blonds de Valérie une douce guirlande bleue de mauves. Telle je me l’imagine toujours, entrant vivement en quelque soirée splendide, au milieu d’un chant de Garat : chacun se retourne au bruit aérien de ses pas ; on crut voir la Musique elle-même.

C’est à Paris, où venait de paraître René, c’est à Berlin, où elle retourna bientôt, et où elle recevait à chaque courrier des caisses de parures nouvelles, c’est là, et pendant que Mme de Staël de son côté publiait en France Delphine, que Mme de Krüdner, rassemblant des souvenirs déjà anciens, et peut-être aussi des pages écrites précédemment, se mit à composer Valérie.

Valérie parut en l’an xii (1804), sans nom d’auteur, à Paris. Quand Mme de Staël en pleine célébrité, et hautement accueillie par l’école française du xviiie siècle, commençait à tourner à l’Allemagne, Mme de Krüdner, allemande, et malgré la littérature alors si glorieuse de son pays, n’avait d’yeux que vers le nôtre. Dans cette langue préférée, elle nous envoyait un petit chef d’œuvre, où les teintes du nord venaient, sans confusion, enrichir, étendre le genre des La Fayette et des Souza. Après Saint-Preux, après Werther, après René, elle sut être elle-même, à la fois de son pays et du nôtre, et introduire son mélancolique Scandinave dans le vrai style de la France. Gustave, au plus fort de son délire amoureux, écrit sur son journal : « J’ai avec moi quelques auteurs favoris ; j’ai les odes de Klopstock, Gray, Racine ; je lis peu, mais ils me font rêver au-delà de la vie… » Remarquez Gray, et surtout Racine, après Klopstock ; cela se tempère. Dans Valérie, en effet, plus que chez Mme de Staël, l’inspiration germanique, si sentimentale qu’elle soit, se corrige en s’exprimant, et, pour ainsi dire, se termine avec un certain goût toujours, et par une certaine forme discrète et française. Ce qui, à l’origine, serait aisément devenu une ode de Klopstock, nous arrive dans quelques sons du langage de Bérénice.

Delphine est certainement un livre plein de puissance, de passion, de détails éloquens ; mais l’ensemble laisse beaucoup à désirer, et, chemin faisant, l’impression du lecteur est souvent déconcertée et confuse. Les livres, au contraire, qui sont exécutés fidèlement selon leur propre pensée, et dont la lecture compose dans l’esprit comme un tableau continu qui s’achève jusqu’au dernier trait, sans que le