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jardins de l’Académie. On ajoute que Xénocrate, à son retour d’un voyage, fit de vifs reproches à Aristote, et rétablit Platon dans la jouissance de sa promenade ordinaire. Tout cela est sans intérêt comme sans vraisemblance ; mais comment empêcher les sottes imaginations de se glisser dans la biographie des hommes dont le nom ne doit pas mourir ? Quand Platon eut rendu le dernier soupir, Aristote, accompagné de Xénocrate, se rendit à Atarnée et à Assos, auprès d’Hermias, philosophe, tyran de ces deux villes, qu’il avait déjà connu à Athènes, lorsque Hermias écoutait Platon. Il vécut trois ans dans une grande intimité avec cet Hermias, et, après la fin tragique de celui-ci, il épousa sa sœur Pythias. Il se rendit à Mitylène. C’est là que vint le chercher le choix de Philippe, roi de Macédoine, pour élever son fils, qui avait alors trois ans. Aristote fit l’éducation d’Alexandre. Il ne le suivit pas en Asie et jusqu’aux Indes ; il le laissa partir pour la conquête du monde et revint à Athènes, où il enseigna dans le Lycée. Ce fut là l’époque de la maturité de son génie ; pendant trente ans, il parla, il écrivit, il rédigea ses nombreux ouvrages ; il reçut de puissans secours d’Alexandre, qui mit à sa disposition plusieurs milliers d’hommes dans toute l’étendue de l’Asie, chargés de rassembler toute espèce d’animaux, afin, dit Pline, que rien de vivant n’échappât à la science du philosophe, ne quid usquam genitum ignoraretur ab eo[1]. Il ne conservera pas jusqu’au bout le bon vouloir d’Alexandre, qui, dans les derniers temps de sa vie, se plaignait à Cassandre, fils d’Antipater, des sophismes d’Aristote qui prouvent le pour et le contre[2], et c’est alors que les extravagances de la calomnie allèrent jusqu’à accuser le Stagirite d’avoir conseillé à Antipater l’empoisonnement d’Alexandre. Il est certain qu’il sortit d’Athènes. Pourquoi l’avez-vous quitté ? lui demanda-t-on. Je ne voulais pas, aurait répondu Aristote, que les Athéniens se rendissent deux fois coupables envers la philosophie[3]. Cependant il est douteux qu’il ait fui devant une accusation d’impiété pour ses doctrines ; il est faux qu’il se soit empoisonné, dans la crainte d’une condamnation ; il mourut naturellement à Chalcis, au milieu des disciples qui l’avaient suivi.

Voici dans l’ordre des idées un développement nouveau. La philosophie n’a plus pour interprète un Athénien, mais un homme de Thrace, qui n’aura dans son caractère ni dans ses écrits rien de na-

  1. C. Plinii Hist. Nat., lib. viii, cant. xvii.
  2. Plutarque, Vie d’Alexandre, chap. LXXXVI.
  3. Élien, liv. iii, chap. XXXVI.