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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

« Tout dort ; Zaréma veille seule dans le sérail, et quand l’ombre plus épaisse lui dit qu’il est temps d’accomplir son dessein, elle se lève, ouvre la porte d’une main mal assurée, s’avance dans les ténèbres, et sa respiration est tout haletante, et son pied timide ose à peine effleurer le sol. Tout à coup elle s’arrête, près de heurter un vieil eunuque, au sommeil léger, à l’ame de bronze, au poignard acéré. Il faut passer sur son corps, l’éveiller peut-être, et alors mourir. N’importe ! un dieu la protège, et l’obstacle est franchi. Bientôt elle se trouve en face d’une seconde porte ; elle l’ouvre hardiment, entre, et les objets qui l’environnent la remplissent d’un religieux effroi. Une lampe éclairait de sa lueur mélancolique l’image de la sainte Vierge, surmontée de la croix, symbole sacré d’amour et d’espérance ; et cette croix, cette image, ont réveillé dans l’ame de Zaréma les souvenirs vivans encore d’une autre patrie, d’une autre religion. Marie reposait au pied de la croix ; sa bouche était gracieusement entr’ouverte, et la pourpre de ses joues attestait les larmes récentes qui les avaient brûlées. On l’eût prise pour un enfant des cieux, pour un ange exilé du divin séjour et traînant ici-bas sa triste captivité. À cet aspect, la sultane, émue de tant de beauté, touchée de tant de candeur, chancelle, tombe aux pieds de Marie en s’écriant : « Pitié ! pitié pour moi ! ne repousse pas mes prières ! » Ces cris, ces gémissemens réveillent la jeune fille, qui se lève, considère un instant cette femme inconnue pleurant à ses genoux ; puis, la relevant doucement : « Qui es-tu, lui dit-elle, que me veux-tu ? — Je veux te voir, je veux que tu m’entendes, car toi qui m’as perdue, tu peux seule me sauver. Écoute-moi, je suis née loin, bien loin d’ici. Oh ! les souvenirs de mon enfance vivent encore dans ma mémoire ; je me rappelle les montagnes dont les sommets se confondaient avec les cieux, les sources jaillissant du creux des rochers, les forêts impénétrables, et d’autres lois, d’autres mœurs… Par quel destin fus-je enlevée à ma patrie, amenée en ces climats ? je l’ignore. Jusqu’à ce jour, heureuse et tranquille à l’ombre du sérail, je ne connaissais que de nom les larmes, la tristesse, le désespoir. Quand l’amour s’éveilla dans mon cœur, les désirs craintifs, qu’il n’osait s’avouer à lui-même, trouvèrent, à peine éclos, un objet pour les satisfaire et les combler. Guirei, rassasié de dépouilles et de combats, était venu se replonger dans les délices du sérail. Nous parûmes devant lui tremblantes et incertaines de notre sort ; je vis son regard puissant s’abaisser, se fixer sur moi pour ne plus se détourner. Dès cet instant nous vécûmes l’un pour l’autre dans une fortunée solitude, dans une douce et continuelle ivresse. La jalousie, le soupçon, la calomnie, tous les fléaux des harems nous étaient inconnus. Tu vins, hélas ! et le charme fut rompu ; tu vins, et ta présence fit naître dans l’ame du khan une horrible pensée de trahison. Depuis ton arrivée ma vue l’importune ; il entend mes reproches, mais sans en être touché ; il voit mes larmes, mais il ne songe pas à les essuyer. Je le sais, tu n’es pas complice de son crime ; écoute-moi donc. Je suis belle et n’ai que toi pour rivale, mais tu ne sais pas aimer ;