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sine avec le plus de franchise et de netteté. On y retrouve l’indépendance d’idées qui a fait le tourment de son existence ; il ne plie le genou devant aucune idole, il ne se place sous aucun patronage, il n’a même pas rimé une seule épître, adressé une seule flatterie au puissant autocrate des Russies, et certes, ce n’est pas l’occasion qui lui a manqué. Comme Ovide, il a été exilé ; il a regretté, comme Ovide, l’absence de tout ce qu’on aime à vingt ans ; mais comme lui il n’a pas fléchi sous la main qui le persécutait, il n’a pas imploré son pardon dans des vers dont l’harmonie et la douceur font à peine oublier la bassesse, et le noble silence du poète russe a trouvé plus facilement grace que la servilité du poète romain. L’un a revu les bords de sa chère Newa, l’autre n’a pu saluer, à ses derniers instans, ce Capitole, ce Forum, et ce Tibre auxquels il murmurait, en partant pour l’exil, de si touchans adieux. À côté de ce premier trait de la physionomie de Pouchkin, il faut en noter un autre non moins saillant : c’est l’absence complète du sentiment religieux, qui s’harmonise si délicieusement avec l’amour, la rêverie, la tristesse, pour en recevoir quelque chose de plus doux et de plus tendre, et leur communiquer, à son tour, quelque chose de plus saint et de plus éthéré. Comment Pouchkin a-t-il pu fermer son ame à ce sentiment ? Comment ne pas puiser à cette source intarissable d’inspirations ? Comment ne jamais lever les yeux vers le ciel, ni pour l’adorer comme Lamartine, ni pour le maudire comme Byron ? Comment ne s’est-il pas aperçu qu’il manquait une corde à sa lyre, un sens à son ame, une note à cette gamme poétique dont il savait si bien parcourir et moduler tous les autres tons ? Quand l’homme commence à gravir la montagne de la vie, chaque pas lui découvre de nouveaux aspects ; parvenu au point qui lui semblait le plus élevé, des rochers inaperçus jusqu’alors lui cachent une partie de l’horizon ; il s’élance encore, mais avant d’arriver au sommet de la montagne, il tombe, épuisé de fatigue, haletant de soif, soupirant après un monde nouveau, et c’est la mort qui le prend dans ses bras, qui le pose sur ce sommet et lui fait embrasser ce monde dont ses désirs attestent l’existence, et que l’ame doit éternellement pressentir, sans que l’œil du corps puisse jamais le voir. Ces désirs, ces pressentimens célestes, qui, s’ils pouvaient être bannis de la terre et oubliés du reste des hommes, devraient avoir l’ame du poète pour dernier asile, étaient-ils donc inconnus de Pouchkin ? Nourri des leçons du xviiie siècle, n’avait-il donc pas entendu le long cri d’espérance qu’ont poussé vers le ciel toutes les grandes et nobles intelligences, de notre époque ?