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SUR LE JUGEMENT DERNIER.

épuisés à rendre palpable et, pour ainsi dire, possible la représentation d’une scène qui est tout imaginaire. Dans son tableau, si admirable d’ailleurs, de la chute des anges rebelles, Rubens a entassé et multiplié tous les moyens de la composition et de la couleur pour exprimer la confusion et le désespoir des damnés ; il nous a montré la chute effroyable de tous ces réprouvés précipités les uns sur les autres dans des gouffres embrasés où des monstres les attendent et les saisissent ; mais tout en admirant la prodigieuse force d’invention du peintre, on reconnaît que le mérite, je dirai même le charme de l’exécution, a trop de part dans l’effet de son ouvrage. Tout cela est trop près de nous, par la vérité de l’imitation, pour agir sur l’ame comme le feraient des objets surnaturels. La chair de ses personnages est si palpitante, elle semble tellement animée par le sang qu’on voit circuler dans ces veines gonflées et à travers ces muscles tendus par la douleur, qu’il nous semble presque que nous pourrions assister à une scène pareille, comme serait par exemple la chute d’un édifice ou d’une montagne entraînant sous ses ruines une foule de malheureux.

Au contraire, chez les peintres de ces écoles primitives aujourd’hui si fort remises en honneur, les tableaux analogues n’offrent guère que des amas de figures mesquines et anguleuses, sans goût, sans disposition grandiose ; on y remarque surtout une recherche puérile de détails, qui jette l’esprit à mille lieues de l’impression du grand et du terrible. Dans les siècles qui échappent à la barbarie, aussi bien que dans ceux où, par un retour nécessaire de l’inconstance humaine, les esprits, ayant usé l’admiration qu’inspirent les beaux ouvrages, se retournent vers des nouveautés de mauvais goût, la vérité commune séduit et entraîne ; elle paraît le comble de l’art et bien préférable à cette vérité supérieure qui ne s’adresse qu’à la partie la plus noble de l’intelligence.

Le style de Michel-Ange semble donc le seul qui soit parfaitement approprié à un pareil sujet. L’espèce de convention qui est particulière à ce style, ce parti tranché de fuir toute trivialité au risque de tomber dans l’enflure et d’aller jusqu’à l’impossible, se trouvaient à leur place dans la peinture d’une scène qui nous transporte dans une sphère tout idéale. Il est si vrai que notre esprit va toujours au-delà de ce que l’art peut exprimer en ce genre, que la poésie elle-même, qui semble si immatérielle dans ses moyens d’expression, ne nous donne jamais qu’une idée trop définie de semblables inventions. Quand l’Apocalypse de saint Jean nous peint les dernières convulsions de la nature, les montagnes qui s’écroulent, les étoiles qui tom-