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petites pièces de l’antiquité le sceau d’une beauté inqualifiable. Ce sont d’agréables madrigaux, de faciles et ingénieuses bagatelles, mais qui n’approchent pas du tour vif et galant des chefs-d’œuvre de Voltaire en ce genre. On aime pourtant à se souvenir des jolis vers à Mlle de B., âgée de huit jours, qui remontent à 1769 :

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Tous les êtres naissans ont un charme secret :
Telle est la loi de la nature.
Ces ormeaux orgueilleux, leur verte chevelure,
M’intéressent bien moins que ces jeunes boutons
Dont je vois poindre la verdure,
Ou que les tendres rejetons
Qui doivent du bocage être un jour la parure.
Le doux éclat de ce soleil naissant
Flatte bien plus mes yeux que ces flots de lumière,
Qu’au plus haut point de sa carrière
Verse son char éblouissant.
L’été si fier de ses richesses,
L’automne qui nous fait de si riches présens,
Me plaisent moins que le printemps
Qui ne nous fait que des promesses.


Rousseau a dit, par une pensée toute semblable, dans une page souvent citée : « La terre, parée des trésors de l’automne, étale une richesse que l’œil admire, mais cette admiration n’est pas touchante ; elle vient plus de la réflexion que du sentiment. Au printemps, la campagne presque nue n’est encore couverte de rien ; les bois n’offrent point d’ombre, la verdure ne fait que poindre, et le cœur est touché à son aspect. En voyant renaître ainsi la nature, on se sent ranimer soi-même ; l’image du plaisir nous environne ; ces compagnes de la volupté, ces douces larmes, toujours prêtes à se joindre à tout sentiment délicieux, sont déjà sur le bord de nos paupières. Mais l’aspect des vendanges a beau être animé, vivant, agréable, on le voit toujours d’un œil sec. Pourquoi cette différence ? C’est qu’au spectacle du printemps l’imagination joint celui des saisons qui le doivent suivre ; à ces tendres bourgeons que l’œil aperçoit, elle ajoute les fleurs, les fruits, les ombrages, quelquefois les mystères qu’ils peuvent couvrir… » Le poète-versificateur avait encore ici puisé l’inspiration dans la prose, et, bien qu’avec une liberté heureuse, il s’était souvenu de Rousseau[1].

  1. M. Barbier parle, dans son Examen critique des Dictionnaires historiques, d’un ou-