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la prose, mais dans un degré qui ne choquât pas, est inoui. Un mot bien sonnant, pris en une acception un peu neuve, une inversion bien entendue, une quantité de petits secrets qui nous fuient dans ses vers devenus proverbes, mais qui furent nouveaux une fois et frappans, lui servaient à composer son style.

De Styx et d’Achéron peindre les noirs torrens,


ne lui paraissait pas du tout la même chose que s’il avait mis : Du Styx, de l’Achéron ; et il sentait juste. En un mot, Boileau suppléait par une quantité de moyens savans, et depuis assez inaperçus, au rare emploi qu’il faisait et qu’on faisait, en son temps, de la métaphore et de l’image. Son vers voisin de la prose, et qui en était si distinct pour Racine et pour lui, ressemble, j’oserai dire, à ces digues de Hollande qui paraissent au niveau de la mer et qui pourtant n’en sont pas inondées. Le xviiie siècle ne se douta pas de cela. On y reprocha même à Boileau des fautes de grammaire qui souvent, chez lui, n’étaient que des nécessités ou des intentions de poésie. Ce qui est vrai à mon sens, c’est que le genre de style poétique de Boileau et même de Racine avait besoin d’être modifié après eux pour être vraiment continué. Pour rester poétique, la prose montant comme elle fit au siècle de Jean-Jacques et de Buffon, il fallait changer de ton et hausser d’un degré les moyens du vers. Boileau, je n’en doute pas, revenant à la fin du xviiie siècle, eût fait ainsi et eût été au fond, un novateur en style poétique, comme il le fut de son temps. Delille n’eut rien de tel. Il ne comprit pas de quelle réparation il s’agissait. Les modifications matérielles qu’il apporta à la versification, ses enjambemens et ses découpures ne furent que des gentillesses sans conséquence, et qui n’empêchèrent pas chez lui, en somme, le rétrécissement de l’alexandrin. De style neuf et souverainement construit, il n’en eut pas. Sa seule direction fut un vague instinct de mélodie et d’élégance à laquelle sa plume cédait en courant. Du commerce des anciens il ne rapporta jamais ce sentiment de l’expression magnifique et comme religieuse, ce voile de Minerve, où chaque point, touché par l’aiguille des Muses, a sa raison sacrée.

On l’a comparé à Ovide. Le docte et élégant auteur des Métamorphoses, comme ne craint pas de l’appeler M. de Maistre, est bien supérieur à Delille en invention, en idées. Mais, par beaucoup de côtés et de détails, le rapport existe. Ovide, par exemple, en était venu à ne faire du distique qu’une paire de vers tombant deux à deux, tandis qu’auparavant, et surtout chez les plus anciens, comme Catulle,