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tée de chacun, des épisodes d’un romanesque touchant, des noms historiques, des infortunes ou des gloires aisément populaires, des descriptions de jeux de société ou d’expériences de physique, des notes anecdotiques ou savantes, qui formaient comme une petite encyclopédie autour du poème, et vous donnaient un vernis d’instruction universelle. Enfant, j’ai connu le manoir où, en 1813, pour charmer les vacances d’automne, on avait dans le grand salon un jeu de solitaire, un orgue avec des airs nouveaux ; on apportait quelquefois une optique pour voir les insectes ou les vues des capitales. Un volume de Delille était sur la cheminée, et, sans aucun décousu, on passait de l’insecte de l’optique à l’araignée de Pélisson[1]. Mais si, le doigt s’égarant, on remontait dans le volume à quelques pages de là, si on lisait à haute voix le portrait de Jean-Jacques :

Hélas ! il le connut ce tourment si bizarre,
L’écrivain qui nous fit entendre tour à tour
La voix de la raison et celle de l’amour, etc ;


oh ! alors, comme l’émotion croissante succédait ! comme on chérissait le poète et celui qu’il nous peignait en vers si tendres, et comme ce pauvre et sensible Jean-Jacques devenait l’entretien de toute une heure ! — à moins que quelqu’un pourtant, ouvrant les trois Règnes qui étaient à côté, ne tombât sur le Jeu de raquette, ce qui en donnait l’idée et faisait diversion.

Aujourd’hui encore, si, à la campagne, un jour de pluie, vers une fin d’automne, reprenant le volume négligé, on retrouvait tout d’abord (sujet de circonstance) le Coin du feu, celui de l’Homme des Champs ou celui des trois Règnes, diversement spirituels ou touchans, on serait charmé à bon droit, on s’étonnerait d’avoir pu être si sévère pour le gracieux poète, et l’on s’écrierait en relisant la page : Son génie est là !

Je n’aborderai pas en particulier chacun des ouvrages publiés par Delille à dater de 1800 : ce serait répéter à chaque examen nouveau les mêmes critiques, les mêmes éloges, et je n’aurais guère rien à en dire d’ailleurs qui n’ait été trouvé par des contemporains mêmes. Ginguené a jugé l’Homme des Champs avec un mélange de sévérité et de bienveillance qui fait honneur à son esprit et à la critique de son temps. Geoffroy, quoique du même parti politique que Delille, s’est montré beaucoup plus sévère dans la nouvelle Année littéraire qu’il

  1. Imagination, chant vi.