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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

du coup, un bourgeois, là présent, eut presque de l’esprit. Il s’y dépensa plus de bons mots en un quart d’heure, que durant des siècles de la ligue anséatique.

C’est un trait bien honorable et distinctif du talent et du caractère de Delille, d’avoir su, sans y prendre garde, lasser la malice et désarmer l’agression. Le Brun, parlant de Fréron dans la Métempsychose, avait dit :

Mais il prôna l’ingénieux Delille,
Qui, sous le fard se donnant pour Virgile,
Si bien lima son vers mince et poli,
Que le grand homme est devenu joli.
Ainsi masquant de graces fantastiques
Le noble auteur des douces Géorgiques,
Par trop d’esprit il n’eut qu’un faux succès…
Oh ! que Le Franc a bien fui cet excès !


Dans une épigramme de date postérieure, Le Brun semble s’adoucir, et il convient que, nonobstant Marmontel, Saint-Lambert et Lemierre,

L’adroit et gentil émailleur
Qui brillanta les Géorgiques,
Des poètes académiques
Delille est encor le meilleur.


Enfin, dans d’autres épigrammes suivantes, il se montre tout-à-fait apaisé, et le nom de Delille ne revient plus qu’en éloges. Ainsi Marie-Joseph Chénier, qui, dans une petite épître au poète émigré rentrant :

Marchand de vers, jadis poète,
Abbé, valet, vieille coquette,
Vous arrivez, Paris accourt, etc. ;


avait été satirique des plus âpres, n’hésita pas à lui rendre bientôt, dans son Tableau de la Littérature, des hommages consciencieux et réfléchis.

Pendant que Delille courait l’Allemagne, et de là passait en Angleterre, on se demandait en France de ses nouvelles avec un intérêt qu’attestent toutes les feuilles du temps. Le premier réveil de l’attention littéraire s’occupait à son sujet. Lalande (décembre 96) donnait dans la Décade une espèce de petit bulletin de ses voyages et de ses poèmes entamés ou terminés. On traduisait, du Mercure allemand de Wieland, un article de Bottiger sur le poète dont la réputation gros-