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latiane, Apellanire et Calliopée (les arts de l’architecture, de la peinture et de la poésie). Quoique ce morceau soit de sa première et un peu fade manière, on y trouve des traits tels que Delille n’en a pas assez connu, comme, par exemple, quand, Hortésie étant introduite devant les juges et ne parlant point encore, ceux-ci eurent beaucoup de peine à ne se pas laisser corrompre aux charmes même de son silence. Dans les Amours de Psyché, La Fontaine a aussi décrit les merveilles naissantes de Versailles : les vers, le plus souvent techniques, sont parfois éclairés d’un reflet d’ame inattendu, que je ne retrouve pas à travers le bel-esprit de Delille :

L’onde, malgré son poids, dans le plomb renfermée,
Sort avec un fracas qui marque son dépit,
Et plaît aux écoutans, plus il les étourdit.
Mille jets, dont la pluie alentour se partage,
Mouillent également l’imprudent et le sage.

Malgré les critiques qu’on fit des Jardins, Delille ne continua pas moins d’être le plus brillant et le plus enfant gâté des poètes. Il ne publia rien de nouveau jusqu’après la révolution ; mais il travailla dès-lors, et par fragmens toujours, à la plupart des ouvrages qui parurent ensuite coup sur coup, à dater de 1800. M. de Choiseul-Gouffier l’emmena ou plutôt l’enleva sur le vaisseau qu’il montait comme ambassadeur à Constantinople[1]. Delille visita Athènes, composa des morceaux de son poème de l’Imagination aux rivages de Bysance. Une lettre écrite par lui en France sur son voyage était à l’instant un évènement de société ; un bon mot qu’il avait dit sur des pirates fit fortune. Sa vue s’affaiblissait déjà ; ce soleil lumineux et cette blancheur des murailles du Levant lui causaient plus de souffrance que de joie. À son retour en France, il reprit sa vie mi-partie studieuse et distraite, et la révolution seule la vint troubler.

Delille vit la révolution avec les sentimens qu’on peut aisément supposer ; il écrivait à Mme Lebrun, déjà réfugiée à Rome : « La politique a tout perdu, on ne cause plus à Paris. » Il n’émigra point pourtant ; mais inoffensif, généralement aimé, se couvrant du nom de Montanier-Delille, et de plus en plus rapproché de sa gouvernante, qui passa bientôt pour sa nièce[2], et devint plus tard sa femme, il baissait la tête en silence durant les années les plus ora-

  1. Voir les articles biographiques de Delille par Amar et par M. Tissot.
  2. L’abbé de Tressan, mal reçu d’elle un jour, ne put s’empêcher de dire à Delille : « Quand on choisit ses nièces, on les devrait mieux choisir. »