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REVUE DES DEUX MONDES.

15 janvier 1811.

« Mon mari chéri, mon bien-aimé Joseph, s’il vous est bien pénible de vivre séparé de moi, et si le fardeau de nos peines domestiques accable votre esprit, croyez qu’il n’est pas moins cruel à votre femme de vivre loin de vous. En vérité, quand je regarde mes enfans, mon cœur se brise ; et cédant à mes premières réflexions, pauvres enfans ! suis-je prête à m’écrier, en quoi votre sort diffère-t-il aujourd’hui de celui d’orphelins privés de leur père ? et moi, que suis-je ? sinon la malheureuse veuve d’un proscrit qui n’a plus même de nom ! Ah ! puisse le Dieu du ciel prendre pitié de vous, chers enfans, et pourvoir à votre avenir ! Oh ! mon Joseph, vous savez combien votre femme vous aime ; ainsi, au nom de son amour et au nom de Dieu, elle vous supplie de ne pas lui en vouloir si elle vous répète ce qu’elle vous a si souvent dit, et si elle vous le répète aujourd’hui plus fortement que jamais. Oh ! oui, plutôt que d’aller en Hongrie, ou dans quelque autre pays aussi éloigné, j’aimerais mieux (hélas ! c’est bien cruel d’être obligé de le dire), j’aimerais mieux mendier avec mes enfans ! Grace au ciel, quoique cela puisse bientôt arriver, je n’en suis pas encore réduite à cette extrémité. Hélas ! oui, cher époux, si le sort nous est toujours aussi contraire, bientôt peut-être aurez-vous pour femme une mendiante ! mais je suis obligée de m’arrêter, car mes larmes inonderaient mon papier.

« Il est cependant une pensée, mon très cher Joseph, qui doit vous consoler dans votre malheur, comme elle console votre pauvre femme, c’est que nous n’avons pas attiré sur nous la misère et l’infortune qui nous accablent par de coupables ou de folles actions. Notre attachement à notre bon empereur François et le désir ardent que nous éprouvons de redevenir Autrichiens, ont seuls tout fait ; seuls ils ont mis votre vie dans le danger le plus imminent, et ils ont réduit votre femme et vos pauvres petits enfans à la pauvreté et à la détresse la plus affreuse. Oh ! cher homme, prenez courage ! Jetez-vous aux pieds de notre gracieux empereur qui est encore si bon pour vous et peignez-lui la position de votre femme dans le Tyrol.

« Pardonnez-moi si je ne vais pas vous rejoindre ; vous savez, hélas ! combien ma santé est délabrée, et s’il me serait possible de supporter un si long voyage. Ah ! ne croyez pas que ce soit seulement un propos de bonnes femmes, c’est encore l’avis de beaucoup de gens sensés ; oui, le climat de la Hongrie est mortel à ceux qui n’ont pas un bon tempérament et une constitution robuste, et vous aimez trop votre femme, j’en suis sûre, pour vouloir sa mort. Faites, au reste, ce que vous croirez devoir faire ; moi, je prierai Dieu pour que notre bon empereur François vienne à notre aide, et peut-être Dieu exaucera-t-il mes prières. Mais si sa volonté est que nous demeurions dans l’affliction, ne demandez que ce que vous pourrez obtenir ; et si l’on vous assigne une autre résidence, tâchez que ce soit dans la Styrie ou