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JOSEPH SPECKBAKER.

traité de Vienne, avaient désarmé et dispersé leurs bandes. Haspinger, craignant d’être excepté de l’amnistie, se réfugia au couvent d’Einsiedeln en Suisse, et de là à Vienne, par Côme et le Véronais. Mais Speckbaker, retiré dans le hameau de Stallsins, eut l’imprudence ou la générosité de se remettre en campagne avec sa bande, à la réception d’une dépêche d’André Hofer, qui lui mandait qu’il l’attendait de l’autre côté du Brenner : bientôt Kolb prit la fuite ; Hofer disparut, et Speckbaker fut obligé de se jeter dans la montagne, et sa tête fut mise à prix.

La bravoure du Diable de Feu était en grande renommée parmi les Bavarois. Ils connaissaient l’énergie de caractère du chef montagnard, les ressources de son esprit ; ils redoutaient par-dessus tout la grande influence qu’il exerçait encore sur les paysans des districts de l’Inn, d’Inspruck à Schwatz : aussi attachèrent-ils une importance extraordinaire à se rendre maîtres de sa personne. Son signalement avait été mis à l’ordre du jour de chaque détachement ; des descriptions de sa personne, accompagnées de gravures sur bois, représentant les traits de son visage et les détails de son costume, avaient été imprimées à Inspruck et répandues dans l’armée et dans les moindres cantonnemens de montagne ; enfin de nombreuses patrouilles parcouraient, dans tous les sens, la haute chaîne de monts neigeux qui s’élèvent entre les vallées de la Zell et de l’Inn, où l’on savait que Speckbaker s’était réfugié. Les soldats bavarois, personnellement animés contre lui par le souvenir des mauvais tours qu’il leur avait joués et par l’appât des récompenses promises, le traquaient comme une bête fauve, lorsqu’ils étaient parvenus à le dépister. Quand ils avaient perdu ses traces, ils fouillaient les forêts, les châlets écartés, les cavernes, les arbres creux, et jusqu’aux fentes des rochers et aux mousses épaisses sous lesquelles on pouvait croire que le rusé montagnard s’était caché.

Speckbaker cependant luttait avec ses ennemis de constance et d’adresse. Ses aventures tiennent du roman.

Quand les Bavarois commencèrent leur poursuite, il se trouvait encore à la tête de treize de ses compagnons les plus résolus. Pendant quelques jours il rôda avec eux de châlets en châlets, passant d’une montagne à une autre, tenant tête quelquefois aux petits détachemens ennemis, se glissant entre les corps plus nombreux et manœuvrant de façon à s’échapper par le Pustherthal, en suivant les cimes des monts où la Zeli prend sa source. Le jour de Noël, il arriva au village de Dux, situé au cœur des montagnes : il avait trouvé fermés tous les passages de la vallée ; ses compagnons étaient épuisés de fatigue, et les vivres leur manquant depuis plusieurs jours, ils allaient périr d’inanition. Speckbaker les remercia de leur dévouement, prit congé d’eux et se cacha chez un ami.

Il commençait à peine à se reposer de ses fatigues lorsqu’on vint lui annoncer qu’un détachement bavarois traversait la montagne et s’approchait du village. Speckbaker ne voulait pas fuir ; mais quand il vit de ses propres yeux