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JOSEPH SPECKBAKER.

il ne dut son salut qu’à la vitesse de son cheval. Le 10 août il rentrait à Inspruck, où il apportait la première nouvelle de son désastre. Ce qu’il avait laissé de troupes françaises dans cette ville put seul empêcher les Tyroliens d’y pénétrer en même temps que les fuyards.

Le 13 août, vingt mille insurgés étaient encore rassemblés sous les murs d’Inspruck, où les débris de l’armée de Lefebvre, en nombre à peu près égal, s’étaient ralliés. Ces soldats, découragés par leurs précédentes défaites, se laissèrent battre une seconde fois sur les pentes du mont Isel. Dans cette affaire André Hofer commandait en personne, Haspinger et Speckbaker étaient ses lieutenans. Speckbaker était placé à l’aile droite de l’armée tyrolienne, et le Diable de Feu et ses redoutables compagnons eurent bientôt mis en fuite les troupes qui leur étaient opposées. Vers le centre, le pont de la Sill et le couvent de Saint-Vilten, où reposaient les corps des Tyroliens morts dans la précédente bataille, furent plus vivement disputés. Le sol, aux environs du couvent, était jonché de cadavres, et la victoire paraissait indécise, quand les Tyroliens, animés par la présence d’une image miraculeuse de la Vierge[1], à laquelle ils attribuaient déjà leur première victoire, tentèrent un dernier et terrible effort. Les Bavarois furent obligés de céder au fanatisme et à la bravoure de ces hommes ; ils se retirèrent en désordre dans la ville, et avant le lever du soleil tout ce qui restait de l’armée d’invasion avait évacué pour la troisième fois la capitale du Tyrol, et se retirait précipitamment sur l’Inn inférieur.

Tandis qu’Hofer jouissait à Inspruck des honneurs du triomphe et organisait dans cette ville une sorte de gouvernement patriarcal, une monarchie primitive, le Diable de Feu s’attachait aux pas de l’ennemi, taillait en pièces son arrière-garde aux environs de Schwatz, et chassait les débris de l’armée de Lefebvre bien au-delà de la frontière du Tyrol.

Ainsi, au commencement de septembre, le pays était encore une fois purgé de soldats étrangers, et d’envahis les Tyroliens devenaient envahisseurs. En effet Speckbaker et le capucin pénétraient dans le pays de Saltzbourg, appelant aux armes les habitans et les engageant à se réunir à eux contre les soldats de l’Antechrist. La fortune favorisa d’abord ces deux chefs : ils poussèrent jusqu’à Reinchenhall, petite ville distante de quelques lieues seulement de Saltzbourg. Le capucin, auquel ces succès avaient tourné la tête, parlait d’aller à Vienne battre Napoléon et délivrer l’empereur François. Mais Speckbaker, mieux avisé, voyant que, loin de les seconder et de se joindre à eux, les montagnards du pays de Saltzbourg les évitaient et les regardaient passer avec une sorte de terreur, s’apercevant en outre que chaque jour le nombre de ses soldats diminuait, car ces braves gens retournaient chez eux par petites troupes, ennuyés qu’ils étaient de rester si long-temps sans voir leurs femmes et leurs enfans ; Speckbaker songea à se rapprocher de la frontière du Tyrol, que menaçait une nouvelle et plus redoutable invasion.

  1. Image apportée dans le pays, dit la légende, par les chrétiens de la 10e légion.