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DE LA RUSSIE.

La question est toute commerciale. L’empire russe n’a pas renoncé à l’ambition de devenir le plus grand empire du monde ; mais il veut atteindre à cette suprématie par le développement de sa marine marchande, et non par les conquêtes de sa marine militaire, par l’extension de son commerce extérieur, et non de ses frontières ; il veut inonder le monde de ses marchandises, et non de ses armées, et tandis qu’on se fortifie contre l’invasion présumée des soldats russes, la Russie s’apprête à fondre sur l’Angleterre et sur la France, et à les combattre sur terre et sur mer, en Europe et en Orient, avec ses étoffes de soie et de coton, et les produits si variés de ses différens climats.

Les armes ont assez fait pour la Russie en Orient, et l’Angleterre n’aurait plus à lui disputer, par une guerre, que Constantinople dont l’empereur ne s’emparerait qu’à son corps défendant. Que peut demander la Russie en effet, et quels empiétemens lui reste-t-il à faire ? L’Angleterre l’a laissée s’établir aux sources du Danube, elle a souffert qu’elle ouvrît, depuis le traité de Bucharest, la mer Noire à ses provinces inférieures, elle l’a laissée dominer la mer d’Azoff depuis le traité de Kainardji, s’emparer de la Crimée par l’ukase de 1783, s’étendre le long de la Circassie jusqu’au Caucase, regagner la côte méridionale de la mer Noire par le traité qui lui livra, en 1802, la Mingrélie jusqu’aux grandes concessions de 1829 et de 1833, qui lui permirent de bâtir le fort de Saint-Nicolas sur le rivage qui forme la baie de Trébizonde. L’Angleterre a souffert que la Russie s’avançât jusqu’à l’Ararat que lui a ouvert le traité de Turkoman-Chaï en 1828 ; l’Angleterre a vu signer, en se contentant de protester, les traités d’Unkiarskelessi et d’Andrinople ; aujourd’hui la Russie s’est établie en les séparant, au beau milieu des populations de l’Anatolie, de la Perse, de la Géorgie et du Caucase ; elle occupe presque tout l’isthme qui sépare la mer Caspienne de la mer Noire ; elle garde avec vigilance la Porte de Fer et le Vlady, les deux seuls passages du Caucase ; son pavillon flotte, depuis 1829, aux deux extrémités de la côte d’Abasie, déjà à demi conquise et où treize mille hommes de troupes régulières occupent sept points différens[1] ; elle n’a donc plus qu’à profiter de cette longue série de conquêtes, à les organiser, à les lier entre elles et tout le reste de l’em-

  1. En 1829, les ingénieurs russes exploraient déjà les mouillages de Redoute-Kale et de Poti pour y construire un port, et s’occupaient d’un projet pour rendre le Phaze et le Cyrus navigables. (Annuaire officiel du corps des ingénieurs des voies de communication. Saint-Pétersbourg, 1830.)