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il y a lieu de croire qu’ils ne garderaient pas pour la marine russe des bois de qualité inférieure, et qui ne dureraient que sept ans[1].

Envisagée de ce point de vue des intérêts nouveaux de la Russie, qui est le point de vue véritable, la question d’Orient se simplifie, quoique les difficultés qu’elle présente ne soient pas pour cela résolues. Cette question, je ne la traiterai ici que sous son côté russe, et je n’aborderai l’Orient que par la Russie, avec les idées russes, les seules qu’il m’ait été permis d’apprécier.

D’abord, la conquête de Constantinople n’est pas une idée populaire en Russie, comme on a bien voulu le dire. L’armée se souvient des terribles maladies qui l’ont ravagée dans la campagne de Turquie, et dans les divers gouvernemens que j’ai parcourus, même ceux qui écoulent leurs produits agricoles vers la mer Noire, je n’ai pas trouvé trace de cette pensée. À Saint-Pétersbourg, la question est unanimement jugée par les hommes d’état. On y reconnaît qu’un souverain russe ne pourrait s’établir à Constantinople, qu’en renonçant à ce reste de prépondérance qu’exerce encore la Russie sur l’Europe, de Saint-Pétersbourg, cette fenêtre ouverte sur la Baltique par Pierre-le-Grand, qui n’a pas placé sans raison la métropole à l’extrémité de l’Europe. La Russie a déjà deux métropoles, SaintPétersbourg et Moscou ; elle en aurait trois, en s’établissant à Constantinople, et cette dernière aurait tant d’avantage sur les deux autres, qu’en peu d’années le siége de l’empire serait déplacé, et que la Russie perdrait cette unité dont elle a plus besoin que jamais ; ce que sent très bien l’empereur Nicolas, qui ne recule devant aucune mesure, quand il s’agit de centraliser davantage les forces de cet immense empire. S’établir à Constantinople (et on ne peut prendre Constantinople sans s’y trouver attiré par mille causes que je suis prêt à déduire), s’établir à Constantinople, ce serait marcher à un but diamétralement opposé à celui de l’empereur actuel ; ce serait démentir la pensée qui a fait dénationaliser la Pologne, qui a fait déporter les soldats et les officiers polonais au Caucase, au risque d’augmenter les périls qu’on court de ce côté, qui a entraîné le gouvernement de l’empereur à imposer la langue russe aux provinces allemandes, à y préparer le prosélytisme grec, malgré les mécontentemens que causent ces mesures dans ces précieuses et fidèles provinces, et on peut être assuré qu’à moins d’une nécessité bien grande, la Russie n’étendra pas ses limites aussi loin.

  1. Voyez un Mémoire sur le commerce des ports de la nouvelle Russie, par Jules de Hægemeister. Imprimerie de la ville d’Odessa, 1835.