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danger il y aurait pour lui à adopter les idées de l’empereur Alexandre ; idées qui, d’ailleurs, s’étaient beaucoup modifiées depuis 1812. Il se livra donc sans réserve à celles qui lui étaient propres, et se montra tout-à-fait Russe dès son avènement au trône, repoussant toutes les idées politiques qui venaient de l’Occident, comme Pierre Ier avait repoussé, en faisant sa réforme, tout ce qui était venu d’Orient à la Russie. Ce premier pas fut décisif, et presque tous les cabinets de l’Europe s’en émurent, bien qu’ils ne comprissent encore que confusément les vues de l’empereur Nicolas. Séparer la Russie des idées de la France, de l’Angleterre, et, du nord de l’Allemagne, favoriser le développement de sa nationalité, lui créer une industrie qui remplaçât les industries étrangères dont elle était tributaire ; telles étaient les idées de ce plan, qui se sont réalisées en peu d’années. En même temps, l’empereur renonçait à l’idée qu’il avait émise de détruire le système des classes et des rangs créé par Pierre-le-Grand, et lui donnait, au contraire, une très grande extension dans un but que j’indiquerai tout à l’heure.

La tâche que se donnait l’empereur Nicolas n’était pas facile. Il s’agissait de rétablir en quelque sorte le vieux système national russe, moins la puissance de l’aristocratie qui gênait les anciens souverains, et c’est à cet effet que l’empereur conservait le système du classement social de Pierre Ier. En même temps qu’il fallait cesser de gouverner par l’adjonction des idées étrangères, comme il était nécessaire de s’affranchir des secours de l’industrie et des sciences de l’Europe, on ne pouvait procéder à ces fins qu’en multipliant plus que jamais les rapports avec l’Europe, pour s’approprier ses procédés. Ainsi, pour ne citer que deux exemples, en même temps que le gouvernement de l’empereur Nicolas opposait mille obstacles à l’entrée en Russie de tous les outchitèles, ou professeurs et précepteurs français, qui affluaient jusqu’alors à Pétersbourg et à Moscou, il favorisait de toutes ses forces l’introduction des contre-maîtres et des chefs d’atelier français. En même temps que l’empereur Nicolas promulguait un ukase pour défendre aux nobles russes de s’absenter plus de cinq ans, sous peine de confiscation de leurs biens, et qu’il leur refusait des passeports pour l’Angleterre, et surtout pour la France, il couvrait ces deux pays d’agens commerciaux, de jeunes officiers des corps savans et d’élèves des académies, pour y étudier les procédés de la fabrication et la marche de l’industrie. Il y a un fait plus curieux encore, c’est que, tandis que les nobles ne peuvent emmener en voyage ceux de leurs enfans mâles qui sont adultes, les fils