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DE LA RUSSIE.

pagne répondit avec raison, par le prince de la Paix (mars 1796), que l’impératrice n’avait pas pris une part vraiment active, c’est-à-dire par ses armées, à la guerre que soutenaient les puissances.

C’est qu’alors, par des causes non moins prépondérantes que celles qui agissent aujourd’hui, la guerre était fatale au développement et à la prospérité de la Russie, et c’est ce que la grande Catherine ne pouvait manquer de voir. La Russie soutenait, depuis dix-huit ans, de grandes et terribles guerres, et ses conquêtes ne la couvraient pas des frais immenses qu’elle faisait et des pertes que lui causait la stagnation de son industrie. Il faut considérer qu’en aucun pays de l’Europe, la consommation des hommes que fait la guerre, n’a des suites aussi funestes qu’en Russie, et qu’à cette époque, d’après les statistiques du temps, la Russie n’avait, proportions gardées, qu’un homme sur cinq que possédait l’Autriche, un sur quatre que possédait la Prusse, et un sur sept que possédait l’Angleterre[1].

Les vues principales que doit se proposer un souverain russe, l’accroissement de la population, de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, ne peuvent se concilier avec la guerre, et il se passera encore plusieurs règnes avant que la Russie puisse se permettre le luxe d’une guerre avec la France, à moins que la question de son existence politique n’y soit engagée.

L’impératrice Catherine avait eu beau ajouter par ses armes, à l’empire russe, un territoire de 30,000 werstes carrées, où se trouvaient comprises des provinces fertiles, telles que la Crimée ; la Russie avait besoin d’un surcroît de population, et l’impératrice appelait de toutes parts les colons. Les revenus de l’empire s’étaient élevés, il est vrai, sous son règne, de 30,000,000 roubles à 60,000,000 ; mais les dépenses de son gouvernement excédaient encore les revenus de son empire : elle eût donc été forcée, si elle avait vécu, de transiger avec la révolution française, même si la révolution française était restée ce qu’elle était en 1795, et même si la grande Catherine avait conservé l’énergie avec laquelle elle combattit ses premiers pas.

Or, les causes qui eussent arrêté l’impératrice dans ses projets de guerre, grandissent encore chaque jour, sans excepter la cause principale, le manque de population. C’est ce que je me réserve de développer et de prouver un peu plus loin.

  1. Voyez Storch et Ockhard.