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daire, si on la compare à la partie qu’il néglige. Il ne voit, il ne poursuit que la forme, et il omet l’idée que la forme enveloppe, mais ne peut jamais suppléer. Sans confondre la poésie et la science, nous sommes en droit de demander à la poésie aussi bien qu’à la science l’idée cachée sous les paroles qu’elle prononce. Cet avis qui porte avec lui-même son évidence, et qui n’a pas besoin d’être démontré, ne paraît pas être l’avis de M. Hugo ; car dans ses odes, dans ses romans et dans ses drames, les idées sont rares et les mots nombreux. La différence des procédés employés par la poésie et par la science n’abolit pas l’étroite parenté des facultés diverses qui se proposent la science et la poésie. L’imagination et le raisonnement relèvent également d’une faculté plus générale, qui s’appelle l’intelligence. C’est pourquoi le poète, aussi bien que le naturaliste ou l’astronome, est obligé de penser. L’idée qu’il conçoit, au lieu de s’offrir sous la forme didactique, se présente sous la forme d’une image. Mais quelle que soit la diversité des vêtemens dont elles se couvrent, l’idée poétique et l’idée scientifique, en tant qu’idées, sont de la même famille. S’il n’est pas permis à l’astronome, au naturaliste, de parler lorsqu’il n’a rien à dire sur les formes ou les mouvemens des corps célestes, sur l’organisation et la vie des plantes ou des animaux, pourquoi serait-il permis au poète de chanter lorsqu’il n’a rien à dire sur Dieu ou sur la création, sur lui-même, ou sur les tragédies auxquelles il assiste ? Qu’est-ce que la parole qui se réduit à ébranler l’air, à frapper l’oreille, et qui n’exprime aucune idée ? Les savans dédaignent avec raison les considérations qui se donnent pour générales et qui ne peuvent s’appliquer à l’étude d’aucun ordre de faits ; les poètes qui prennent au sérieux la poésie et qui embrassent d’un regard clairvoyant le domaine entier de l’imagination, ont le même dédain pour les mots, si bien arrangés qu’ils soient, qui n’expriment aucune émotion, aucune pensée, et M. Hugo a signé de son nom bien des mots de cette nature. Il professe pour l’image, prise en elle-même, un respect indéfini, et il ne paraît pas soupçonner que l’image est à l’idée ce que la draperie est à la chair. Il n’est jamais venu à la pensée de Polyclète ou de Phidias de ciseler le marbre pour le seul plaisir de le ciseler, de fouiller le paros et de l’assouplir en plis ondoyans, comme la pourpre tyrienne, avec l’unique intention de voir la lumière se jouer dans les plis du marbre vaincu. Polyclète et Phidias savaient bien que les draperies sculptées par leur ciseau ne deviendraient belles et n’obtiendraient l’admiration qu’à la condi-