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Sans doute le drame et le roman se proposent tous deux la peinture de la vie humaine, et si le lecteur ne consentait pas à voir les différences cachées sous cette identité apparente, il serait absolument impossible de lui montrer pourquoi M. Hugo, nature lyrique, amoureux de la strophe abondante et sonore, est plus voisin du roman que du théâtre ; mais il ne faut pas une grande clairvoyance pour apercevoir l’intervalle qui sépare l’action racontée de l’action mise en scène, pour comprendre que l’intervention directe du poète dans plusieurs parties du récit permet à la faculté lyrique de se déployer librement, tandis que cette même faculté trouve rarement l’occasion de se produire au théâtre. Dans le roman comme dans le drame, l’analyse des caractères et le mouvement des personnages sont les deux premières conditions à remplir, et si l’une de ces deux conditions est violée ou méconnue, le roman et le drame sont incomplets ; mais il est plus facile de dissimuler la fausseté des caractères ou l’invraisemblance de l’action dans le roman que dans le drame. Car le poète qui raconte dispose de toutes les richesses du langage, parle en son nom et peut prodiguer les images éclatantes, les comparaisons ingénieuses, les allusions lointaines, sans choquer le lecteur. Le dramatiste est sans cesse rappelé à son devoir par les deux mille spectateurs qui ont les yeux fixés sur la scène ; s’il oublie son héros pour arranger des paroles sonores, ou des images coquettes, il est puni par l’indifférence ou par les railleries du parterre, et la rapidité du châtiment ne lui permet pas de mettre en doute la réalité de sa faute. De cette vérité générale, applicable à tous les romanciers, à tous les dramatistes, il est facile de conclure la supériorité des Feuilles d’automne sur Notre-Dame de Paris, et de Notre-Dame de Paris sur Hernani. Mais peut-être convient-il de montrer sous un autre jour le rapport qui unit cette conclusion aux prémisses que nous avons posées. L’opinion générale est plus indulgente pour les héros de roman que pour les héros de théâtre ; la même foule qui, assise sur les banquettes du parterre, ne pardonne pas au poète la violation de la vérité, se montre volontiers crédule lorsqu’elle suit des yeux les pages d’un roman. Au théâtre, elle veut être émue ; en lisant un roman, elle préfère les épisodes qui excitent sa curiosité aux scènes naturellement et logiquement déduites. Il suit de là que la fantaisie a plus beau jeu dans le roman que dans le drame, que le poète impose plus facilement sa personnalité au lecteur qu’au spectateur. L’opinion générale est évidemment une opinion erronée ; toute fable épique ou dramatique, pour être vraiment belle,