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quinze cents hommes, ne les compte même plus aujourd’hui. On ne le regrette certainement pas en Espagne. Les hideux excès qui ont suivi la prise d’Irun, ont confirmé les uns dans leur haine et les autres dans leur indifférence, mêlée d’aversion, pour les étrangers auxiliaires, recrutés à Londres en 1835. Le système de la coopération indirecte a fait son temps. Il est jugé. La légion française qui vient de perdre son digne chef, et qui est aussi réduite à une poignée d’hommes, avait une tout autre valeur. Depuis qu’elle a mis le pied sur le territoire espagnol, elle a presque constamment tenu la campagne, au milieu de privations inouies et qu’il a fallu des forces surhumaines pour supporter. C’était une troupe vraiment française, admirablement organisée et disciplinée, soutenue par le sentiment de l’honneur et l’orgueil du drapeau. Elle s’est honorée en Espagne par une conduite et par un courage au-dessus de tout éloge. Quand elle agissait seule, toutes ses entreprises, habilement combinées, étaient couronnées de succès ; quand elle marchait avec les troupes espagnoles, soit au premier rang, soit à l’arrière-garde, elle rendait toujours les plus grands services, et plus d’une fois elle a seule protégé des retraites, qui sans elle n’eussent été que des déroutes. Il est fâcheux qu’on ait sacrifié cette brave légion aux combinaisons d’une politique irrésolue, et le gouvernement espagnol, qui surtout depuis la révolution de la Granja, l’a laissée périr sans secours, regrettera plus d’une fois l’indifférence avec laquelle il a accueilli toutes les réclamations faites en sa faveur.

Depuis que les armes de la reine ont repris le dessus dans les provinces du nord, bien qu’elles ne soient pas maîtresses des principales vallées où il avait concentré ses moyens de défense, le prétendant a transporté ailleurs le foyer de la guerre civile. Cette expédition était depuis long-temps prévue, et c’était là ce que devait faire don Carlos quand l’épuisement de la Navarre, de la Biscaye et du Guipuzcoa ne lui permettrait plus d’y entretenir des forces aussi nombreuses. La rareté des subsistances s’y faisait déjà sentir depuis long-temps, et l’ordonnance du 20 janvier qui a fermé la frontière aux exportations de farines et autres provisions de bouche, avait considérablement aggravé cette situation. Aussi le ministère espagnol sentait-il tout le prix de ce retour à l’ordonnance du 3 juillet 1835, et celle de 1837 est, quoi qu’en disent les feuilles légitimistes de Paris, une des causes principales qui ont déterminé don Carlos à tenter son expédition de Catalogne, dont il est encore bien difficile d’assigner le véritable but.

En sortant de la Navarre, don Carlos avait paru manœuvrer pour