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REVUE ÉTRANGÈRE.

mens de la Granja précipitèrent l’Espagne, quand se sont faites les élections destinées à renouveler les cortès. C’était la troisième fois de l’année qu’on remuait la nation tout entière pour lui faire nommer des représentans. La reine régente n’avait accepté la constitution que sauf les modifications qu’y apporteraient des cortès spécialement convoquées. Celles-ci devaient avoir pour tâche principale de réviser la constitution, de confirmer les mesures extraordinaires arbitrairement prises par le ministère, et de statuer sur la régence, qui ne pouvait être exercée par la reine Christine sans une dérogation formelle à la constitution même qu’on venait de rétablir. Elles devaient, d’ailleurs, décider seules de ces grands changemens, car la chambre des procérès avait disparu dans la tempête avec le principe et les institutions du statut royal.

Le système de l’élection directe avait régi la formation de la dernière assemblée ; cette fois on devait appliquer le système de l’élection indirecte, à plusieurs degrés, consacré par la constitution de 1812, et les opérations électorales mirent donc, à la lettre, toute l’Espagne en mouvement.

Les élections qui se sont faites en Espagne pendant la période constitutionnelle, et depuis la mort de Ferdinand VII, sous l’empire du statut royal, ont manqué généralement de sincérité. La liberté morale et physique n’y a jamais été assez grande, à cause de la faiblesse du gouvernement, pour que les cortès qui en sont sorties pussent être regardées comme la véritable expression de l’opinion nationale. Mais les dernières élections, faites le lendemain de la révolution de la Granja, sont assurément celles qui présentent, sous ce rapport, le résultat le moins satisfaisant. On n’imagine pas que la déception du système indirect puisse être poussée plus loin. Les populations rurales, indifférentes ou ennemies, n’y ont pris aucune part. Il y a même des provinces où la difficulté des communications a empêché tout simulacre de réunion. Dans les villes, le parti modéré, c’est-à-dire la très grande majorité de la classe moyenne, s’est effacé complètement. Cinq ou six cent personnes, sur des milliers qui devaient concourir aux élections du premier degré, se présentaient aux juntes de paroisse dans toute l’étendue d’une province, et il n’y a pas quinze mille citoyens qui, dans un système de suffrage universel, ou peu s’en faut, aient pris part aux opérations électorales de tous les degrés. Aussi, non-seulement ne retrouve-t-on pas dans les cortès actuelles un seul des hommes éminens de l’opinion modérée ; mais il n’en est pas un dont on ait même prononcé le nom dans les