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Les rois me font asseoir près d’eux, dans leurs palais ;
Et tandis que les fruits les plus beaux de la vie
Se détachent de l’arbre et tombent à mes pieds,
Tous les blonds jeunes gens, dans les nouveaux sentiers,
Murmurent près de moi : « Tu nous étais connue,
Chaste fille du ciel, bien avant ta venue ;
Les fleuves, la rosée et la brise en émoi,
Nous avaient déjà dit quelque chose de toi. »

Comme un bon ouvrier qui s’épuise à la peine,
Unit dans un tissu tous les fils du rouet ;
Ainsi, moi, travailleuse à la puissante haleine,
J’assemble tous les sons et les mêle à souhait.
Et ma sœur, la Nature, auguste filandière,
M’encourage au travail sans cesse, et du plus loin
Qu’elle voit le printemps accourir sur la terre,
Songe à me tenir prêts les fils dont j’ai besoin.
Tantôt c’est un rayon de soleil qu’elle mouille
Dans les flots de l’ondée heureuse du matin,
Et roule tout le jour autour de sa quenouille,
Comme le plus beau fil d’or, de soie ou de lin ;
Tantôt une vapeur de la source voisine
Que chauffe dans son lit le souffle oriental,
Ou le bruit des métaux qui grondent dans la mine,
Ou la vibration lascive du cristal.
Et grace à ma science éternelle et profonde,
À l’inspiration qui me descend des cieux,
De tous ces élémens, moi, je compose un monde
Où viennent se croiser les bruits harmonieux
Qui chantent, séparés, dans l’œuvre universelle ; —
Et tant que je les tiens assemblés sous mon aile,
Les hommes de la terre écoutent à loisir
Ce que Dieu seul pouvait combiner et saisir ; —
Un monde glorieux, où le germe sonore
Est le seul qui prospère, et sur sa tige en fleur
Reçoive la rosée à la nouvelle aurore,
Le seul dont le calice exhale une senteur,
Où, dans le frais miroir des vagues transparences,
Chacun voit resplendir ses belles espérances,