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LE PORTUGAL AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

ser de nos importations et qui en consomme une quantité prodigieuse. Ce ne pourrait jamais être le cas de la France ; elle a des vins, des sels, des fruits, et de toutes sortes de denrées à revendre. Que lui vendrait le Portugal ? Rien, ou presque rien. Donc il ne pourrait la payer qu’en espèces ou en matière ; donc il ne lui resterait pas, au bout de vingt ans, une cruzade ; donc l’intérêt mercantile ne saurait jamais engager le Portugal à se rapprocher de la France, et à lui accorder, pour son commerce, la préférence ou même l’égalité avec l’Angleterre[1]. »

Aujourd’hui que l’émancipation du Brésil a privé le Portugal d’une importation de 100,000,000 fr., et que ce royaume, descendu au rang des états les plus pauvres de l’Europe, est dans l’impossibilité d’augmenter avec nous la masse de ses transactions, qui ne montent pas, importations et exportations comprises, à plus de 2,000,000 de francs[2], il est de toute évidence que les observations de Favier sont plus fondées que jamais.

Du reste, pour peu qu’on ait respiré un instant aux bords du Tage cet air de décomposition et de ruine, il devient manifeste que cette bande étroite de territoire, peuplée de trois millions d’hommes, séparée de l’Espagne malgré les plus étroites affinités de race, de foi et d’intérêts, tend à reprendre une position plus conforme à celle que lui destina la nature. Lorsqu’à la fin du xvie siècle, le Portugal tomba sous la main de Philippe II, les souvenirs de sa prépondérance maritime et commerciale étaient trop récens pour que la domination espagnole n’y fût pas envisagée comme un joug insupportable. Et néanmoins n’est-il pas évident que, depuis 1640 jusqu’à nos jours, ce pays a complètement manqué de génie et d’impulsion propre, et qu’il n’a conservé en Europe qu’une existence analogue à celle que les rivalités politiques maintiennent à la Porte ottomane ? Aujourd’hui ses héroïques souvenirs ne vivent plus que dans des proclamations déclamatoires ; l’intérêt colonial a cessé de diviser les deux nations péninsulaires, dont l’avenir repose également sur le travail, sur la réforme des mœurs et celle des lois régulatrices de l’ordre civil. Si les préjugés anti-espagnols sont tenaces encore dans la population des bateliers du Tage, les hommes politiques de tous les partis ont depuis long-temps contracté, dans le malheur et l’exil, d’étroites relations. Peut-être serait-il facile de prouver, par des faits peu con-

  1. Favier, Politique de l’Europe, tome ii, art. xi.
  2. Le Commerce au xixe siècle, par M. Moreau de Jonnès, tom. ii, chap. ier, § ii.