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LES CENCI.

la remercier de l’apparition des sentiments délicats ; je ne doute pas, au reste, que tôt ou tard ces sentimens ne se fussent fait jour dans le sein des peuples. L’Énéide est déjà bien plus tendre que l’Iliade.

La théorie de Jésus était celle des philosophes arabes ses contemporains ; la seule chose nouvelle qui se soit introduite dans le monde à la suite des principes prêchés par saint Paul, c’est un corps de prêtres absolument séparé du reste des citoyens et même ayant des intérêts opposés[1].

Ce corps fit son unique affaire de cultiver et de fortifier le sentiment religieux ; il inventa des prestiges et des habitudes pour émouvoir les esprits de toutes les classes, depuis le pâtre inculte jusqu’au vieux courtisan blasé ; il sut lier son souvenir aux impressions charmantes de la première enfance ; il ne laissa point passer la moindre peste ou le moindre grand malheur, sans en profiter pour redoubler la peur et le sentiment religieux, ou tout au moins pour bâtir une belle église, comme la Salute à Venise.

L’existence de ce corps produisit cette chose admirable : le pape saint Léon, résistant sans force physique au féroce Attila et à ces nuées de barbares qui venaient d’effrayer la Chine, la Perse et les Gaules.

Ainsi, la religion, comme le pouvoir absolu tempéré par des chansons, qu’on appelle la monarchie française, a produit des choses singulières que le monde n’eût jamais vues, peut-être, s’il eût été privé de ces deux institutions.

Parmi ces choses bonnes ou mauvaises, mais toujours singulières et curieuses, et qui eussent bien étonné Aristote, Polybe, Auguste, et les autres bonnes têtes de l’antiquité, je place sans hésiter le caractère tout moderne du don Juan. C’est, à mon avis, un produit des institutions ascétiques des papes venus après Luther ; car Léon X et sa cour (1506) suivaient à peu près les principes de la religion d’Athènes.

Le Don Juan de Molière fut représenté au commencement du règne de Louis XIV, le 15 février 1665 ; ce prince n’était point encore dévot, et cependant la censure ecclésiastique fit supprimer la scène du pauvre dans la forêt. Cette censure, pour se donner des forces, voulait persuader à ce jeune roi, si prodigieusement ignorant, que le mot janséniste était synonyme de républicain[2].

L’original est d’un Espagnol, Tirso de Molina[3] ; une troupe italienne

  1. Voir Montesquieu, Politique des Romains dans la religion.
  2. Saint-Simon. — Mémoires de l’abbé Blache.
  3. Ce nom fut adopté par un moine, homme d’esprit, Fray Gabriel Tellez. Il apparte-