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POÈTES ET ROMANCIERS DU NORD.

par le poète. Cette fois, Œhlenschlœger a renié son ciel du Nord. Il a voyagé sur les ailes de cette déesse capricieuse qu’on appelle Fantaisie, et avec sa faculté puissante d’intuition, il a compris, comme un homme de l’Orient, la couleur, la vie, le prestige de l’Orient. Un rayon de soleil a éclairé sa palette, et le génie des contes l’a guidé dans son excursion. À travers ces images demi factices, demi-réelles, qu’il représente, il y a plusieurs situations qui rentrent dans le domaine de la vie journalière, et plusieurs caractères vrais et habilement peints. Celui de Morgiane, entre autres, est très bien senti et très comique. La pauvre femme, qui a toujours vécu dans son humble retraite, filant sa quenouille ou causant avec son brutal mari, ne comprend rien aux merveilles produites par la lampe de son fils Aladdin. La première fois que le génie mystérieux apparaît, l’effroi s’empare d’elle, et elle tombe la face contre terre. Plus tard elle s’habitue à le voir venir quand Aladdin l’évoque, mais ce sont pour elle autant de sorcelleries qu’elle déplore et qu’elle tolère par nécessité. Il arrive dans la maison du tailleur d’Ispahan ce qui est arrivé plus d’une fois dans la demeure de l’homme visité par le génie de la science ou de la poésie : Aladdin s’est tout d’un coup séparé de la foule ; son esprit s’est élevé, ses désirs ont grandi avec le pouvoir de les satisfaire, et sa mère est restée la même. Sa parole est plus puissante que celle d’un roi. Il fait un signe, et les génies apparaissent. Il commande, et les génies obéissent. Il tient entre ses mains un instrument magique dont le vulgaire ignore la valeur, et quand il y pose le doigt, tous les trésors enfouis dans les entrailles de la terre lui appartiennent. Pendant ce temps, sa bonne mère calcule encore ce qu’elle pourra gagner en filant du matin au soir, et se demande comment elle pourra acheter une nouvelle robe. Elle rencontre son fils magnifiquement vêtu, et elle ne sait comment cela s’est fait. Elle le voit absorbé dans ses pensées, et elle se dit avec douleur qu’il ne travaille pas. Elle remarque qu’il est soucieux et triste, et elle se demande d’où lui vient cette tristesse, car elle n’a pas vu le char doré, le char céleste sur lequel il a pris l’essor, et elle ne voit pas non plus les épines qui y sont attachées. Un jour il lui avoue qu’il est amoureux de la fille du sultan, et Morgiane se met à pleurer, car elle le croit fou. Il veut envoyer