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peinture décorative ; car, malgré la richesse éblouissante de sa palette, il n’est pas sûr qu’il se fût trouvé, parmi les membres de la chambre, cent personnes assez hardies pour le déclarer supérieur à MM. Alaux ou Abel de Pujol, s’il se fût borné à la personnification de la justice, de la guerre, de l’agriculture et de l’industrie.

Il y a dans les quatre compositions du Salon du Roi tant de bonheur et de simplicité, que l’œil et la pensée se promènent sans effort et sans fatigue de l’allégorie à la réalité, et de la réalité à l’allégorie. La Justice est figurée par une femme assise, qui étend son sceptre sur les malheureux. Je ne blâmerai pas l’auteur d’avoir substitué le sceptre à la balance. Quoique ce dernier attribut soit consacré depuis long-temps par la tradition, il n’y a aucun inconvénient à l’omettre, lorsque l’allégorie, au lieu de s’expliquer par elle-même, est accompagnée d’un commentaire vivant. Or, c’est précisément la condition où se trouve la Justice de M. Delacroix. Cette grande figure, sans être posée aussi naturellement qu’on pourrait le désirer, ne manque ni de noblesse, ni de majesté. L’expression du visage est à la fois sévère et compatissante, et résume très bien la force et la protection. Au-dessous de cette figure, peinte en plafond, le peintre a placé une composition qui se divise en deux parties distinctes, mais tellement ordonnées, que la seconde partie est l’application de la première. D’un côté, l’œuvre du législateur, leges incidere ligno ; de l’autre, l’œuvre du magistrat, culpam pœna premit comes. Un vieillard et une jeune fille représentent la législation ; un ange aux ailes déployées poursuit le coupable et le châtie au nom de la loi écrite. Le vieillard est conçu dans le style des prophètes de la Sixtine ; la méditation et l’austérité sont empreintes sur son visage. La jeune fille qui écrit sous sa dictée, qui grave sur les tablettes les préceptes destinés à régir la société humaine, est pleine de grace et d’attention. Chacun de ces deux personnages est précisément ce qu’il devait être. Quant à la figure placée derrière le vieillard, et qui, au premier aspect, n’a pas d’emploi déterminé, je suis loin de la considérer comme inutile ; car non-seulement elle est d’un bon effet pittoresque, mais elle exprime très bien la curiosité muette et respectueuse. Elle ne dicte rien, elle n’écrit rien, mais elle regarde et elle écoute, et cette pantomime suffit amplement à motiver sa présence. Bien que la législation, telle que l’a représentée