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appelés ; il a foulé aux pieds dans l’Inde, à la face du brahmanisme, les divisions de castes, de races, de pays ; il a adouci les mœurs des nations barbares, et il a prêché la charité pour les hommes et la pitié pour les animaux ; il a prescrit et pratiqué la tempérance, la chasteté, l’humilité, la pauvreté, comme le christianisme primitif. Il a fondé une multitude de couvens pour les deux sexes ; il a reçu des donations, il a propagé le culte des reliques et des images, il a multiplié à l’infini les pratiques dévotes et les légendes, comme le christianisme du moyen-âge. Enfin, pour compléter la ressemblance extérieure des deux religions, le bouddhisme a eu son pape. Le lama du Thibet a été un chef spirituel, ayant des possessions temporelles, et reconnu par une grande portion des nations bouddhiques ; et tout cela dure encore, et à l’heure qu’il est, en Chine, au Japon, au Thibet, dans les steppes de la Tartarie, plus de quatre cents millions de nos semblables croient à la doctrine, et pratiquent le culte de Bouddha.

Mais sous ces analogies, qu’on ne m’accusera pas de déguiser, que peut-être on me reprochera tout aussi injustement de faire trop ressortir, se cache une différence profonde, radicale, dont les conséquences se retrouvent partout dans les deux religions, la différence du théisme au panthéisme. Le Christ est le fils de Jéhovah. Le christianisme a reçu du judaïsme la notion du Dieu auquel nous croyons, du Dieu vivant, du Dieu fort, du Dieu bon, c’est-à-dire du Dieu libre, du Dieu créateur, du Dieu aimant ; et le christianisme a été une religion de liberté d’action et d’amour. Le bouddhisme au contraire, qui n’a pu se dégager du vieux panthéisme indien, au sein duquel il a pris naissance, le bouddhisme n’a jamais connu d’autre dieu qu’un dieu mort ; car il est sans individualité, sans conscience de son être ; un dieu soumis à la fatalité, car le monde émane nécessairement de son sein ; un dieu qui n’aime point, car il n’y a pour lui ni mauvais ni bon ; lui-même ne peut être dit bon ou mauvais, chaque distinction se perdant au sein de sa ténébreuse et indiscernable unité. Aussi toute la tendance morale du bouddhisme s’en est ressentie. Les vertus actives qu’il prescrit, n’ont été considérées que comme des degrés inférieurs conduisant à une perfection plus haute ; et cette perfection a été l’anéantissement de l’activité humaine. La fin suprême de l’homme a été de perdre le sentiment de son moi, de renoncer à