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prince demanda : Qu’est ceci ? Ses serviteurs lui répondirent : C’est un malade. Qu’est-ce qu’un malade ? reprit le prince. Ils répondirent : L’homme est formé de quatre élémens. Chaque élément a cent et une maladies qui se succèdent alternativement. Suit une peinture de l’état de maladie. Le prince réfléchit que lui-même peut être semblable à ce malheureux ; il pense à la triste condition des hommes, et il s’écrie : « Je regarde le corps comme une goutte de pluie ; quel plaisir peut-on goûter dans le monde ? »

Un autre jour, le dieu se changea en un homme mort qu’on portait hors de la ville. Le prince demanda : Qu’est-ce que cela ? Les serviteurs lui répondirent : C’est un mort. Qu’est-ce qu’un mort ? reprit le prince. Ici, un horrible tableau des suites physiques de la mort. Le prince poussa un long soupir, prononça quelques vers mélancoliques, et s’en revint à son palais, considérant tristement que tous les êtres vivans étaient soumis aux tourmens et aux douleurs de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Il en était tellement attristé, qu’il ne mangeait plus.

Enfin, le dieu se déguise en religieux, et révèle au prince la vraie doctrine, par laquelle on s’élève au-dessus des misères de la vie et des vicissitudes de l’être, en supprimant les désirs, et en atteignant, par la quiétude, à la simplicité du cœur. Quand un homme est parvenu à ce point d’abnégation, les sons et les couleurs ne peuvent le souiller, les dignités ne peuvent le fléchir ; il est immobile comme la terre, il est délivré de l’affliction et de la douleur, et il obtient le salut par l’extinction.

Telles sont les quatre initiations par lesquelles cette curieuse légende conduit le fondateur du bouddhisme à l’absorption suprême, morne refuge offert par cette religion contemplative et mélancolique contre l’agitation, la douleur, la mortalité, essence de la vie.

Dans la suite de la légende, le dieu emploie un autre moyen pour éclairer Bouddha sur la misère des êtres vivans. Les ministres du roi, voulant toujours distraire le jeune prince, proposent de lui faire voir les travaux de l’agriculture. « Le prince considérait ceux qui labouraient ; en creusant la terre, on en fit sortir des vers… Un corbeau vint les becqueter et les mangea. Le dieu fit aussitôt paraître un crapaud qui les poursuivit et les avala ; puis un serpent à replis tortueux sortit d’un trou et dévora le crapaud ; un paon s’abattit en volant et piqua le serpent ; un faucon