Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/738

Cette page a été validée par deux contributeurs.
728
REVUE DES DEUX MONDES.

MADAME DE LÉRY

C’est possible ; les liaisons d’aujourd’hui sont des mariages, et quand il s’agit d’un jour de noce, cela vaut la peine d’y penser.

CHAVIGNY

Vous avez mille fois raison ; et dites-moi, pourquoi en est-il ainsi ? pourquoi tant de comédie et si peu de franchise ? Une jolie femme qui se fie à un galant homme ne saurait-elle le distinguer ? Il n’y a pas que des sots sur la terre.

MADAME DE LÉRY

C’est une question en pareille circonstance.

CHAVIGNY

Mais je suppose que, par hasard, il se trouve un homme qui, sur ce point, ne soit pas de l’avis des sots ; et je suppose qu’une occasion se présente où l’on puisse être franc sans danger, sans arrière-pensée, sans crainte des indiscrétions. (Il lui prend la main.) Je suppose qu’on dise à une femme : Nous sommes seuls, vous êtes jeune et belle, et je fais de votre esprit et de votre cœur tout le cas qu’on en doit faire. Mille obstacles nous séparent, mille chagrins nous attendent si nous essayons de nous revoir demain. Votre fierté ne veut pas d’un joug, et votre prudence ne veut pas d’un lien ; vous n’avez à redouter ni l’un ni l’autre. On ne vous demande ni protestation, ni engagement, ni sacrifice, rien qu’un sourire de ces lèvres de rose et un regard de ces beaux yeux. Souriez pendant que cette porte est fermée ; votre liberté est sur le seuil ; vous la retrouverez en quittant cette chambre ; ce qui s’offre à vous n’est pas le plaisir sans amour, c’est l’amour sans peine et sans amertume ; c’est le caprice, puisque nous en parlons, non l’aveugle caprice des sens, mais celui du cœur qu’un moment fait naître et dont le souvenir est éternel.

MADAME DE LÉRY

Vous me parliez de comédie ; mais il paraît qu’à l’occasion vous en joueriez d’assez dangereuses. J’ai quelque envie d’avoir un caprice, avant de répondre à ce discours-là. Il me semble que c’en est l’instant, puisque vous en plaidez la thèse. Avez-vous là un jeu de cartes ?

CHAVIGNY

Oui, dans cette table ; qu’en voulez-vous faire ?

MADAME DE LÉRY

Donnez-moi-le, j’ai ma fantaisie, et vous êtes forcé d’obéir si vous ne voulez vous contredire. (Elle prend une carte dans le jeu.) Allons, comte, dites rouge ou noir.

CHAVIGNY

Voulez-vous me dire quel est l’enjeu ?