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tragique, la délivrance et l’heureux mariage d’Iphigénie, annoncés par Racine, valent-ils la simplicité terrible de la légende grecque ? Pour la vérité des personnages, la fière résignation de la jeune princesse de Racine vaut-elle les plaintes touchantes, la douleur naïve et l’effroi de jeune fille dépeints par Euripide ? Enfin, ces gardes, cette cour, ce majestueux accueil que reçoit Clytemnestre, cela vaut-il, pour le spectacle et l’intérêt, le char où Clytemnestre arrive avec sa fille près d’elle, le petit Oreste endormi sur ses genoux, et descend au milieu d’un chœur de femmes grecques, qui seules pouvaient la recevoir et l’approcher ? Et dans Phèdre, la conversation de Théramène et d’Hippolyte, est-ce un début comparable à cette entrée du jeune héros grec, libre, pur, farouche, une couronne de fleurs sur la tête, animant ses compagnons aux rudes plaisirs de la chasse, et dévouant son cœur à la chaste Diane dans une hymne d’une ravissante douceur ? Qu’est-ce que la flamme d’Aricie, semblable à tant d’autres, au prix de cet amour idéal et de la scène sublime où la déesse, se révélant, console par une vision céleste l’agonie douloureuse d’Hippolyte ?

Tout cela soit dit avec adoration du génie de Racine. Mais la vraie grandeur de son art se montre surtout dans les pièces qu’il a tirées de l’histoire, où elles attendaient la vie poétique. Quand la statue était faite et animée par le ciseau grec, la défaire et la recomposer, c’était en altérer la grace primitive ; il eût mieux valu, peut-être, en faire une simple et fidèle copie, sans autre nouveauté que l’expression ; mais le goût du siècle voulait se retrouver dans ces remaniemens de l’imagination antique. Admirons Racine de ce qu’il a fait ou suppléé ; mais ne prenons pas ses changemens pour des progrès, dans le point de vue éternel de l’art. Le goût du xviiie siècle imposait à Voltaire, dans une œuvre semblable, un esprit plus moderne encore. Le respect de l’antiquité classique s’était fort affaibli, et certaines conventions de théâtre avaient pris plus de force. Aussi quand le bon M. Dacier, qui vivait encore, apprenant que le jeune poète s’occupait d’Œdipe, lui conseilla de ne rien oublier de Sophocle, et de traduire les beaux chœurs de la tragédie grecque, Voltaire se prit à rire. Il y avait cependant alors chez Mme la duchesse du Maine un homme savant, son chancelier, je crois, M. de Malézieux, qui faisait la plus vive impression sur cette brillante et spirituelle so-