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hommes célèbres, mettant ainsi leurs traits à l’abri du temps, et ne souffrant pas que la durée des siècles pût prévaloir contre des mortels. Don précieux, invention capable d’exciter la jalousie des dieux mêmes (inventor muneris etiam diis invidiosi), puisqu’en donnant l’immortalité à ces grands hommes, il les a répandus chez toutes les nations, en sorte qu’ils sont présens en tous lieux (quando immortalitatem non solam dedit, verum etiam in omnes terras misit, ut præsentes esse credi (ou claudi) possent)[1].

Ce sont ces dernières paroles, où se montre l’enflure si fréquente dans le style de Pline, qui ont donné lieu d’attribuer à Varron l’idée d’un procédé multiplicateur. On a dit : Puisque Atticus avait déjà publié un volume de portraits, une iconographie en un volume, en quoi aurait donc consisté l’invention de Varron, sinon dans un procédé pour multiplier les exemplaires de manière à les répandre facilement partout ?

Mais d’abord, rien ne dit qu’Atticus eût publié un volume de portraits. Selon Pline, l’invention toute moderne d’Atticus (il emploie encore ici le mot inventum) a consisté dans l’idée d’orner sa bibliothèque de portraits en or, argent ou bronze, et ensuite de la rendre publique, ce qui n’avait encore été fait par personne ; car il doute que les Ptolémées et les rois de Pergame, si curieux de collections de livres, aient eu cette idée de bibliothèque publique.

Puis il ajoute que le même Atticus avait la passion des portraits ; de quels portraits ? Il l’a dit plus haut : de ces figures en or, en argent, en airain, dont, à son exemple, on embellissait depuis peu les bibliothèques. La preuve de ce goût, c’est qu’il avait publié un traité sur ce sujet (edito de hoc, ou his, volumine), et non pas un volume de portraits, comme on l’a cru, sens dont les paroles latines ne sont pas susceptibles.

Mais Varron a fait bien plus : il ne s’est pas contenté, comme Atticus, de placer dans sa bibliothèque un certain nombre de bustes ou statues des grands hommes ; il a imaginé, et c’est là son invention, de faire dessiner, en petit, leurs portraits, et de les insérer dans ses nombreux ouvrages, en regard de l’article qui concernait chacun d’eux, car remarquons bien qu’il ne s’agit pas d’une collection de portraits, comme on dit ; il s’agit de portraits disséminés

  1. Pline, xxxv, 2.