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Vous me quittez pour aller à la gloire de M. de Ségur. Millevoye paya tribut à ce genre ; il en fut le poète le plus orné, le plus mélodieux. Son fabliau d’Emma et d’Eginhard offre toute une allusion chevaleresque aux mœurs de 1812, sur ce ton. Il nous y montre la vierge au départ du chevalier,

Priant tout haut qu’il revienne vainqueur,
Priant tout bas qu’il revienne fidèle[1].

Il y a loin de là à la Neige, qui est le même sujet traité par M. de Vigny dans un tout autre style, dans un goût rare et, je crois, plus durable, mais qui a aussi sa teinte particulière de 1824.

Parmi les romances de Millevoye, les amateurs distinguent, pour la tendresse du coloris et de l’expression, celle de Morgane (dans le poème de Charlemagne) ; la fée y rappelle au chevalier le bonheur du premier soir :

L’anneau d’azur du serment fut le gage :
Le jour tomba ; l’astre mystérieux
Vint argenter les ombres du bocage,
Et l’univers disparut à nos yeux.

Je recommanderai encore, d’après mon ami qui la chantait à ravir, la romance intitulée le Tombeau du Poète persan, et ce dernier couplet où la fille du poète expire sous le cyprès paternel :

Sa voix mourante à son luth solitaire
Confie encore un chant délicieux ;
Mais ce doux chant, commencé sur la terre,
Devait, hélas ! s’achever dans les cieux.

Il y a certes dans ces accens comme un écho avant-coureur des premiers chants de Lamartine, qui devait dire à son tour en son Invocation :

Après m’avoir aimé quelques jours sur la terre,
Souviens-toi de moi dans les cieux !

En général, beaucoup de ces romances de Millevoye, de ces élégies de son premier livre où il est tout entier, et j’oserai dire sa jolie

  1. Tibulle avait dit, Elégie première, livre ii :
    Vos celebrem cantate Deum, pecorique vocate
    Voce, palàm pecori, clam sibi quisque vocet
    .