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reux : « Oh ! rien qu’un petit roman, qu’un petit poème, s’écriait-il ; quelque chose d’art, si petit que ce fût de dimension, mais que la perfection ait couronné, et dont à jamais on se souvînt ; voilà ce que je tente, ce à quoi j’aspire, et vainement ! Oh ! rien qu’un denier d’or marqué à mon nom, et qui s’ajouterait à cette richesse des âges, à ce trésor accumulé qui déjà comble la mesure !… » Et mon inquiet poète ajoutait : « Oh ! rien que le Cimetière de Gray, la Jeune Captive de Chénier, la Chute des Feuilles de Millevoye ! ».
Millevoye a surtout mérité ce bonheur, j’imagine, parce qu’il ne le cherchait pas avec intention et calcul. Il n’attachait point à ses élégies le même prix, je l’ai dit déjà, qu’à ses autres ouvrages académiques, et ce n’est que vers la fin qu’il parut comprendre que c’était là son principal talent. Facile, insouciant, tendre, vif, spirituel et non malicieux, il menait une vie de monde, de dissipation, ou d’étude par accès et de brusque retraite. Il s’abandonnait à ses amis ; il ne s’irritait jamais des critiques du dehors ; il cédait outre mesure aux conseils du dedans ; dès qu’on lui disait de corriger, il le faisait. D’une physionomie aimable, d’une taille élevée, assez blond, il avait, sauf les lunettes qu’il portait sans cesse, toute l’élégance du jeune homme. Un rayon de soleil l’appelait, et il partait soudain pour une promenade de cheval ; il écrivait ses vers au retour de là, ou en rentrant de quelque déjeuner folâtre. Aucune des histoires romanesques, que quelques biographes lui ont attribuées, n’est exacte ; mais il dut en avoir réellement beaucoup qu’on n’a pas connues. La jolie pièce du Déjeuner nous raconte bien des matinées de ses printemps. Il essayait du luxe et de la simplicité tour à tour ; et passait d’un entresol somptueux à quelque riante chambrette d’un village d’auprès de Paris. Il aimait beaucoup les chevaux, et les plus fringans. Après chaque livre ou chaque prix, il achetait de jolis cabriolets, avec lesquels il courait de Paris à Abbeville, pour y voir sa mère, sa famille, ses vieux professeurs ; il se remettait au grec près de ceux-ci. Il aimait tendrement sa mère ; quand elle venait à Paris, elle l’avait tout entier. Un jour, l’archi-chancelier Cambacérès, chez qui il allait souvent, lui dit : « Vous viendrez dîner chez moi demain. » — « Je ne puis pas, monseigneur, répondit-il, je suis invité. » — « Chez l’empereur donc ? répliqua le second personnage de l’empire. » — « Chez ma mère, » repartit le poète. Ce petit trait