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MAUPRAT.

hommes, que je dirai ce que je sais, comme je le sais, sans être influencé pour ni contre personne.

Il leva sa large main et se tourna vers le peuple avec une confiance naïve, comme pour lui dire : Vous voyez tous que je jure, et vous savez que l’on peut croire en moi. Cette confiance de sa part n’était pas mal fondée. On s’était beaucoup occupé, depuis l’incident du premier jugement, de cet homme extraordinaire, qui avait parlé devant le tribunal avec tant d’audace, et harangué le peuple en sa présence. Cette conduite inspirait beaucoup de curiosité et de sympathie à tous les démocrates et philadelphes. Les œuvres de Beaumarchais avaient, auprès des hautes classes, un succès qui vous expliquera comment Patience, en opposition avec toutes les puissances de la province, se trouvait soutenu et applaudi par tout ce qui se piquait d’un esprit élevé. Chacun croyait voir en lui Figaro sous une forme nouvelle. Le bruit de ses vertus privées s’était répandu ; car vous vous souvenez que durant mon séjour en Amérique, Patience s’était fait connaître aux habitans de la Varenne, et avait échangé sa réputation de sorcier contre celle de bienfaiteur. On lui avait donné le surnom de grand-juge, parce qu’il intervenait volontiers dans les différends et les terminait à la satisfaction de chacun avec une bonté et une habileté admirables.

Il parla cette fois d’une voix haute et pénétrante ; il avait dans la voix plusieurs belles cordes. Son geste était lent ou animé selon la circonstance, toujours noble et saisissant ; sa figure courte et socratique était toujours belle d’expression. Il avait toutes les qualités de l’orateur, mais il ne mettait à les produire aucune vanité. Il parla d’une manière claire et concise, qu’il avait acquise nécessairement dans son commerce récent avec les hommes et dans la discussion de leurs intérêts positifs.

— Quand Mlle de Mauprat reçut le coup, dit-il, j’étais à dix pas tout au plus. Mais le taillis est si épais dans cet endroit, que je ne pouvais rien voir à deux pas de moi. On m’avait engagé à voir la chasse. Cela ne m’amusait guère. Me retrouvant près de la tour Gazeau, que j’ai habitée pendant vingt ans, j’eus envie de revoir mon ancienne cellule, et j’y arrivais à grands pas quand j’entendis le coup. Cela ne m’effraya pas du tout, c’était si naturel qu’on fît du bruit dans une battue ! Mais quand je fus sorti du