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trai par réponses monosyllabiques dans le détail des circonstances qui avaient précédé immédiatement l’évènement ; mais, sentant que je devais à Edmée autant qu’à moi-même de taire les mouvemens tumultueux qui m’avaient agité, j’expliquai la scène à la suite de laquelle je l’avais quittée, par une chute de cheval, et l’éloignement où l’on m’avait trouvé de son corps gisant, par la nécessité où je m’étais cru de courir après mon cheval pour l’escorter de nouveau. Tout cela n’était pas clair et ne pouvait pas l’être. Mon cheval avait couru dans le sens contraire à celui que je disais, et le désordre où l’on m’avait vu avant que j’eusse connaissance de l’accident, n’était pas suffisamment expliqué par une chute de cheval. On m’interrogeait surtout sur cette pointe que j’avais faite dans le bois avec ma cousine, au lieu de suivre la chasse, comme nous l’avions annoncé. On ne voulait pas croire que nous nous fussions égarés, précisément guidés par la fatalité ; on ne pouvait, disait-on, se représenter le hasard comme un être de raison, armé d’un fusil, attendant Edmée à point nommé à la tour Gazeau, pour l’assassiner au moment où j’aurais le dos tourné pendant cinq minutes. On voulait que je l’eusse entraînée, soit par artifice, soit par force, en ce lieu écarté pour lui faire violence et lui donner la mort, soit par vengeance de n’y avoir pas réussi, soit par crainte d’être découvert et châtié de ce crime.

On fit entendre ensuite tous les témoins à charge et à décharge. À vrai dire, il n’y eut que Marcasse parmi ces derniers qu’on pût réellement considérer comme tel. Tous les autres affirmaient seulement qu’un moine ayant la ressemblance des Mauprat avait erré dans la Varenne à l’époque fatale, et qu’il avait même paru se cacher le soir qui suivit l’évènement. On ne l’avait pas revu depuis. Ces dépositions, que je n’avais pas provoquées et que je déclarai n’avoir pas personnellement invoquées, me causèrent beaucoup d’étonnement, car je vis figurer parmi ces témoins les plus honnêtes gens du pays. Mais elles n’eurent de poids qu’aux yeux de M. E***, le conseiller qui s’intéressait réellement à la vérité. Il éleva la voix pour demander comment il se faisait que M. Jean de Mauprat n’eût pas été sommé de se présenter pour être confronté avec ces témoins, puisque, d’ailleurs, il s’était donné la peine de faire constater son alibi par des actes. Cette objection ne fut accueillie que par un murmure d’indignation. Les gens qui ne regar-