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teurs et les arrêts iniques. Méfiez-vous, méfiez-vous ! Le trappiste peut lancer la meute à bonnet carré sur ses traces et la dépister en disparaissant à point et la laissant sur les vôtres. Vous avez blessé bien des amours-propres en faisant échouer les nombreuses prétentions des épouseurs d’héritages. Un des plus outrés et des plus méchans est proche parent d’un magistrat tout puissant dans la province. De La Marche a quitté la robe pour l’épée ; mais il a pu laisser parmi ses anciens confrères des gens portés à vous desservir. Je suis fâché que vous n’ayez pu le joindre en Amérique et vous mettre bien avec lui. Ne haussez pas les épaules ; vous en tuerez dix, et les choses iront de mal en pis. On se vengera, non peut-être sur votre vie, on sait que vous en faites bon marché, mais sur votre honneur, et votre grand-oncle mourra de chagrin… Enfin…

— Vous avez l’habitude de voir tout en noir au premier coup d’œil, quand par hasard vous ne voyez pas le soleil en plein minuit, mon bon abbé, lui dis-je en l’interrompant. Laissez-moi vous dire tout ce qui doit écarter ces sombres pressentimens. Je connais Jean Mauprat de longue main ; c’est un insigne imposteur, et de plus, le dernier des lâches. Il rentrera sous terre à mon aspect, et dès le premier mot, je lui ferai avouer qu’il n’est ni trappiste, ni moine, ni dévot. Tout ceci est un tour de chevalier d’industrie, et je lui ai entendu jadis faire des projets qui m’empêchent de m’étonner aujourd’hui de son impudence ; je la crains donc fort peu.

— Et vous avez tort, reprit l’abbé. Il faut toujours craindre un lâche, parce qu’il nous frappe par derrière au moment où nous l’attendons en face. Si Jean Mauprat n’était pas trappiste, si les papiers qu’il m’a montrés avaient menti, le prieur des carmes est trop subtil et trop prudent pour s’y être laissé prendre. Jamais cet homme-là n’embrassera la cause d’un séculier, et jamais il ne prendra un séculier pour un des siens. Au reste, il faut aller aux informations, et je vais écrire sur-le-champ au supérieur de la Trappe ; mais je suis certain qu’elles confirmeront ce que je sais déjà. Il est même possible que Jean de Mauprat soit sincèrement dévot. Rien ne sied mieux à un pareil caractère que certaines nuances de l’esprit catholique. L’inquisition est l’ame de l’église, et l’inquisition doit sourire à Jean de Mauprat. Je crois volontiers qu’il se livrerait au glaive séculier rien que pour le plaisir de vous