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votre âge, reprit l’abbé visiblement irrité, mais affectant des manières plus douces que jamais ; qui sait à quelle folie la ferveur religieuse peut entraîner le trappiste ? car, entre nous soit dit, mon pauvre enfant…… voyez, moi, je suis un homme sans exagération, j’ai vu le monde dans ma jeunesse, et je n’approuve pas ces partis extrêmes, dictés plus souvent par l’orgueil que par la piété. J’ai consenti à tempérer l’austérité de la règle ; mes religieux ont bonne mine et portent des chemises… Croyez bien, mon cher monsieur, que je suis loin d’approuver le dessein de votre parent, et que je ferai tout au monde pour l’entraver ; mais enfin, s’il persiste, à quoi vous servira mon zèle ? Il a la permission de son supérieur, et peut se livrer à une inspiration funeste… Vous pouvez être gravement compromis dans une affaire de ce genre ; car enfin, quoique vous soyez, à ce qu’on assure, un digne gentilhomme, bien que vous ayez abjuré les erreurs du passé, bien que peut-être votre ame ait toujours haï l’iniquité, vous avez trempé, de fait, dans bien des exactions que les lois humaines réprouvent et châtient. Qui sait à quelles révélations involontaires le frère Népomucène peut se voir entraîné, s’il provoque l’instruction d’une procédure criminelle ? Pourra-t-il la provoquer contre lui-même sans la provoquer en même temps contre vous ?… Croyez-moi, je veux la paix… je suis un bon homme… — Oui, un très bon homme, mon père, répondis-je avec ironie, je le vois parfaitement. Mais ne vous inquiétez pas trop, car il y a un raisonnement fort clair qui doit nous rassurer l’un et l’autre. Si une véritable vocation religieuse pousse M. Jean le trappiste à une réparation publique, il sera facile de lui faire entendre qu’il doit s’arrêter devant la crainte d’entraîner un autre que lui dans l’abîme, car l’esprit du Christ le lui défend. Mais si ce que je présume est certain, si M. Jean de Mauprat n’a pas la moindre envie de se livrer entre les mains de la justice, ses menaces sont peu faites pour m’épouvanter, et je saurai empêcher qu’elles ne fassent plus de bruit qu’il ne convient. — C’est donc là toute la réponse que j’aurai à lui porter ? dit le prieur en me lançant un regard où perçait le ressentiment. — Oui, monsieur, répondis-je, à moins qu’il ne lui plaise de recevoir cette réponse de ma propre bouche et de paraître ici. Je suis venu déterminé à vaincre le dégoût que sa présence m’inspire, et je m’étonne qu’a-