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GALERIE ESPAGNOLE AU LOUVRE.

elle disparaît sans que nul en profite ; on en jouit seul, ou, pour mieux dire, on n’en jouit pas du tout. En France, au contraire, on ouvre les portes à la multitude, et plus elle se presse et se foule, plus on se sent le cœur joyeux ; on n’a pas de cesse qu’on ne l’ait montrée à tous, au grand soleil. De tout temps, ç’a été la destinée de la France de s’émouvoir et d’entrer en travail pour rendre populaires les idées et les chefs-d’œuvre. D’ailleurs je ne vois pas quelles raisons légitimes l’Espagne aurait à faire valoir contre nous, en cette occasion. Quelques années encore, et ces tableaux, qui sont sa gloire et la nôtre aussi désormais, disparaissaient du domaine de l’art, où ils tiennent une si noble place. Les coups de sabre dont quelques-uns d’entre eux sont mutilés, prouvent assez qu’on ne les épargnait guère là-bas. Dès-lors, tant de noms lumineux échappaient au baptême de la France. On devait franchir les Pyrénées pour savoir quelque chose du divin Moralès, de Zurbaran, d’Alonzo Cano, et de tant d’autres. C’est une triste nécessité quand il faut apprendre la langue d’un peuple pour lire l’histoire de ses arts. Quelle différence pour l’honneur qui en revient au pays des maîtres, entre les tableaux que l’on emprisonne, à grands frais, dans des salons fastueux, où les conviés seuls sont admis, et ceux que l’on rassemble dans un but de travail et de progrès, et que l’on expose volontiers à chaque heure du jour ! Les uns sont des diamans dans un écrin, les autres des étoiles au firmament. Il est temps d’en user avec plus de franchise, et de dépouiller toutes ces petites rivalités de climats. Messieurs les Espagnols, si vous avez bonne mémoire, vous devez vous souvenir que le mystère ne vous a pas toujours bien réussi, vous en avez été les dupes plus d’une fois. Je me contente de citer un seul fait.

En 1520, Fernand Magellan, dans une expédition entreprise par les ordres de Charles-Quint, découvre la Nouvelle-Hollande, et fait part à l’Espagne de son aventure. Dès-lors le gouvernement, pour obéir sans doute à son éternel système de politique ombrageuse, tient l’affaire secrète ; pas un mot n’en transpire au dehors. Qu’arrive-t-il ? Deux siècles plus tard, Cooke pose le pied sur cette terre, il parle au monde entier de la Nouvelle-Hollande, et l’honneur de cette découverte revient aux Anglais. Ne voilà-t-il pas une belle équipée ? Un peu plus de franchise, et vous enleviez cet avantage à l’Angleterre. Il y a des choses qui, par cela seul qu’elles