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soient transmis sans relâche pour l’enseignement des peuples. D’ailleurs, puisque les palais d’Aranjuez, d’El Pardo, de la Granja, d’El Buen Retiro ne sont pas assez vastes pour contenir toutes vos richesses ; puisqu’il ne s’agit plus que de choisir entre nous et les fléaux qui menacent de les anéantir à jamais, pourquoi vous obstiner à regretter cette conquête, destinée, après tout, à vous concilier tant de sympathies ? Laissez-les, ces créations sublimes, s’échapper du sépulcre de l’oubli et revivre parmi nous, à votre honneur. Vierges divines, secouez la poussière de vos vêtemens ; blonds séraphins, sortez du milieu des ruines ; et vous, saints canonisés, levez au ciel vos mains marquées des stigmates de la croix ; venez, légion splendide, abattez-vous du haut des Pyrénées, la France vous tend les bras, et toi, leur mère féconde, Espagne, regarde-les s’enfuir avec joie ; ne pleure pas, car tu ne seras point oubliée avec ingratitude, et, du fond de ce Louvre que nous leur donnons pour tabernacle, ils parleront de ta gloire au monde entier qui viendra les visiter !

Au reste, l’Espagne aurait mauvaise grace à vouloir se plaindre de notre façon d’agir vis-à-vis d’elle, car on pourrait, au besoin, lui citer pour excuse son propre exemple. En 1628, Philippe IV envoya en Italie, un homme investi de toute sa confiance, et chargé par lui d’une mission à peu près pareille à celle que vient d’accomplir si noblement M. le baron Taylor. Il s’agissait de choisir, parmi les chefs-d’œuvre de l’école, les plus admirables, de se les procurer à prix d’or, et de les rapporter au roi pour son musée. Or, en fait de peinture, l’envoyé n’était pas homme à se laisser prendre en défaut, et s’appelait tout simplement Velasquez. Après tout, on peut le redire sans trop de vanité, ce qui pouvait arriver de plus heureux à ces tableaux, c’était que la France s’en emparât. La France s’enthousiasme volontiers pour tous les nouveaux trésors qu’elle possède, elle est toujours prête à faire sonner haut la renommée du génie, de quelque lieu qu’il vienne, et c’est peut-être une de ses plus nobles vertus, que ce désintéressement qu’elle apporte dans toutes les choses d’art. La France proclame la gloire des étrangers avec autant d’amour et de bonheur que s’il s’agissait de ses propres enfans. En Angleterre, on achète une toile de maître à plus haut prix peut-être ; mais aussi, dès qu’on la tient, on l’enferme sous clé,