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Quel est ce visage, au coin de ce triste feu ? À qui ce front pale et ces mains fluettes ? Que cherchent ces yeux mélancoliques qui semblent éviter les miens ? Est-ce vous que je vois, pauvre Julie ? Qu’y a-t-il donc ? qui vous agite ainsi ? Vous êtes jeune, belle et riche, et votre amant vous est fidèle ; votre esprit, votre cœur, votre rang dans le monde, l’estime qu’on y professe pour vous, tout vous rend la vie aisée et riante ; que viennent faire les larmes dans cette chambre, où nul jaloux ne vous surveille, où le bonheur s’enferme sans témoins ? Avez-vous perdu un parent ? Est-ce quelque affaire qui vous inquiète ? Vos amours sont-ils menacés ? N’aimez-vous plus ? n’êtes-vous plus aimée ? Mais non ; le mal vient de vous seule, et il ne faut accuser personne. Comment se peut-il qu’avec tant d’esprit vous soyez prise d’une manie si funeste ? Est-ce bien vous qui, d’un sentiment vrai, faites une exagération ridicule et le malheur de ceux qui vous entourent ? Est-ce vous qui changez l’amour en frénésie, les querelles passagères en scènes à la Kotzebue, les billets doux en lettres à la Werther, et qui parlez de vous empoisonner, quand votre amant est un jour sans venir ? Quelle abominable mode est-ce là, et de quoi s’avise-t-on aujourd’hui ? Croyez-vous donc qu’ils peignent rien d’humain, ces livres absurdes dont on nous inonde, et qui je le sais, irritent vos nerfs malades ? Les romanciers du jour vous répètent que les vraies passions sont en guerre avec la société, et que, sans cesse faussées et contrariées, elles ne mènent qu’au désespoir. Voilà le thème qu’on brode sur tous les tons. Pauvre femme ! le monde est si peu en guerre avec ce qu’on appelle les vraies passions, que sans lui elles n’existeraient pas. C’est lui qui les excite et les crée ; ce sont les obstacles qui les échauffent, c’est le danger qui les rend vivaces, c’est l’impossibilité de les satisfaire qui les immortalise quelquefois. La nature n’a fait que des désirs, c’est la société qui fait des passions ; et sous prétexte d’en appeler à la nature, ces passions déjà si ardentes, on veut encore les outrer et les prendre pour levier, afin de renverser les bases de la société ! Quelle fureur et quelle folie ! ne saurait-il y avoir rien de bon, qu’on n’en fasse une caricature ? Vous riez du Phœbus amoureux de la cour de Louis XIV, et vous vous indignez des frivoles intrigues de la régence ! Que Dieu me pardonne, j’aime mieux entendre appeler l’amour un goût, comme sous Louis XV, et voir