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LES EXAGÉRÉS.

servante elle-même est son ennemie. Il a pourtant exposé un paysage représentant trois femmes du temps de Louis XIII, passant en gondole dans le parc de Versailles ; son cadre avait quatre pouces en hauteur et plus de trois pieds de large, et le gouvernement ne l’a pas acheté. On lui a commandé, il est vrai, un tableau pour une église de province, et ce tableau, fait en conscience, a reçu quelques éloges ; mais qu’a-t-on loué ? Précisément ce qui n’a aucun mérite, des pieds, des mains, de vils contours ! La pensée profonde de l’artiste n’a pas même été entrevue ; car ce n’est rien que de regarder une toile et de dire : voilà qui est bien dessiné. Un écolier en serait juge. Le beau, le sublime, ce n’est pas le tableau, c’est ce que le peintre pensait en le faisant, c’est l’idée philosophique qui l’a guidé, c’est l’incalculable suite de méditations thoséophistiques qui l’ont amené, décidé et contraint à faire un nez retroussé plutôt qu’un nez aquilin, et un rideau amarante plutôt qu’un cramoisi. Voilà la grande question dans les arts ; mais nous vivons dans la barbarie. Un seul journaliste a saisi la chose, entre mille ; un seul a touché la corde sensible ; et il a dit, dans son feuilleton, que la descente de croix du peintre Vincent était le Requiem de Mozart, combiné avec les Lettres d’Euler et la Vie de saint Polycarpe.

Vous connaissez, monsieur, le chanteur Fioretto ; il a une jolie voix dont les accens iraient au cœur, s’il la laissait sortir tranquillement des larges poumons dont la nature l’a pourvu ; il nous fait venir les larmes aux yeux, quand il exprime un sentiment passionné ; mais, par malheur, il se passionne toujours, et, pour dire en musique à sa maîtresse qu’il se trouve bien aise, il pousse des cris comme si on l’égorgeait. La signora Miagolante, qui chante avec lui ordinairement, a été prise de la même fièvre qui paraît être épidémique. Elle imite la Malibran, et on dirait à tout moment qu’elle va enfin lui ressembler ; elle trépigne, s’avance, s’arrache les cheveux, pose la main sur son cœur, et file une note ; la souris est gentille, mais la montagne était trop grosse.

Singulière maladie ! Paul, qui a le talent d’un romancier, ne fait que des mélodrames les uns après les autres ; et Pierre, qui n’a réussi qu’au théâtre, écrit des livres ; on lirait le premier avec plaisir, et on applaudirait le second ; on siffle l’un et on n’achète pas l’autre.