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vres et de faire travailler les oisifs, on voudrait rebâtir Jérusalem. Malheureusement les architectes n’ont pas le bras du démolisseur, et la pioche voltairienne n’a pas encore trouvé de truelle à sa taille ; ce sera peut-être le sujet d’une autre lettre que nous vous adresserons, monsieur, si vous le permettez. Il ne s’agit ici ni de métaphysique, ni de définitions, Dieu merci. Plus de préjugés, voilà le fait, triste ou gai, heureux ou malheureux ; mais comme je ne pense pas qu’on y réponde, je passe outre.

Je dis maintenant que, pour l’homme sans préjugés, les belles choses faites par Dieu peuvent avoir du prestige, mais que les actions humaines n’en sauraient avoir. Voilà encore un mot sonore, monsieur, que ce mot de prestige ; il n’a qu’un tort pour notre temps, c’est de n’exister que dans nos dictionnaires. On le lira pourtant toujours dans les yeux d’une belle jeune fille, comme sur la face du soleil ; mais hors de là, ce n’est pas grand’chose. On n’y renonce pas aisément, je le sais, et si je soutiens cette conviction que j’ai, c’est que je crois en conscience qu’on ne peut rien faire de bon aujourd’hui, si on n’y renonce pas.

C’est là, à mon avis, la barrière qui nous sépare du passé. Quoi qu’on en dise et quoi qu’on fasse, il n’est plus permis à personne de nous jeter de la poudre au nez. Qu’on nous berne un temps, c’est possible ; mais le jeu n’en vaut pas la chandelle, cela s’est prouvé, l’autre jour, aux barricades. Nous ne ressemblons, sachons-le bien, aux gens d’aucun autre pays et d’aucun autre âge. Il y a toujours plus de sots que de gens d’esprit, cela est clair et irrécusable ; mais il n’est pas moins avéré que toute forme, toute enveloppe des choses humaines est tombée en poussière devant nous, qu’il n’y a rien d’existant que nous n’ayons touché du doigt, et que ce qui veut exister maintenant, doit en subir l’épreuve.

L’homme sans préjugés, le Parisien actuel, se range pour un vieux prêtre, non pour un jeune, salue l’homme et jamais l’habit, ou s’il salue l’habit, c’est par intérêt. Montrez-lui un duc, il le toise ; une jolie femme, il la marchande ; un monument, il en fait le tour ; une pièce d’argent, il la fait sonner ; une statue de bronze, il frappe dessus pour voir si elle est pleine ou creuse ; une comédie, il cherche à deviner quel en sera le dénouement ; un député, pour qui vote-t-il ? un ministre, quelle sera la prochaine loi ? un