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DU THÉÂTRE MODERNE EN FRANCE.

et d’habileté, il ne faut pas un regard moins sûr, une parole moins puissante, que pour compter les blessures de la passion. Ici encore nous retrouvons la nécessité, la légitimité de l’idéal. La comédie, renfermée dans l’étude exclusive du ridicule, ressent et accepte le besoin d’agrandir et d’élever le sujet de sa contemplation. Pénétrée de l’importance des vérités qu’elle a surprises, elle comprend qu’il faut, pour les montrer, non-seulement les éclairer d’une lumière abondante, mais encore exagérer les proportions primitives de ces vérités. Tout en demeurant fidèle aux contours généraux des caractères qu’elle analyse, elle amplifie ces contours pour les rendre plus frappans et plus intelligibles. Elle ne viole pas la vérité, mais elle l’explique. La forme comique n’est donc pas moins légitime que la forme tragique.

Reste le drame. Or, en quoi le drame diffère-t-il de la tragédie et de la comédie ? Ce que la tragédie et la comédie étudient séparément, la passion et le ridicule, le drame l’embrasse d’un seul regard. Il réunit dans une chaîne unique les anneaux dispersés de la conscience humaine : en d’autres termes, il se propose l’étude et la peinture de la totalité de l’ame. Il voit, il regarde et il montre les deux faces de la vie, l’égoïsme et l’exaltation, l’abnégation et l’amour de soi, la prudence et l’entraînement, l’aveuglement et la clairvoyance. Il s’attache à reproduire les mouvemens du cœur et de la pensée, sans tenir compte de la nature diverse de ces mouvemens ; et il espère, grace à cette impartialité courageuse, ne pas rester au-dessous de la réalité. Il croit que la passion sans le ridicule, et le ridicule sans la passion, n’expriment qu’imparfaitement l’humanité, et il veut, par la mise en œuvre de tous les élémens de la réalité, s’élever jusqu’à la vérité générale, universelle. Le projet est beau, et digne assurément de tenter les plus hautes ambitions. Montrer l’ame dans ses alternatives de défaillance et de courage, suivre à la fois et d’un même regard, peindre sur une toile unique et du même pinceau le mendiant et le roi, la chaumière et le palais, c’est une tâche immense, mais une tâche glorieuse. Cependant, quoique le drame se propose la vérité totale par la peinture de la réalité complète, il n’est, pas plus que la tragédie ou la comédie, dispensé de l’idéalité. Si la tragédie et la comédie, pour accomplir la tâche plus étroite qu’elles ont choisie, sont forcées d’exagérer les proportions de leurs modèles, le drame, pour ac-