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LA PRESSE FRANÇAISE.

sables, ou, au contraire, entraînées fatalement par le revirement des forces matérielles. Faire sentir ici la valeur morale d’une semblable opération, ce serait proclamer le résultat avant l’expérience, et tomber nous-mêmes dans la faute que nous reprochons à autrui. Quant à ses avantages, comme méthode critique, ils sont assez évidens. La condition de l’espèce humaine, la loi vitale étant connue, l’histoire aurait pour but d’apprécier les mouvemens sociaux relativement à cette loi, sans négliger pour cela l’étude fidèle des détails, la peinture anecdotique ni aucun des moyens de séduction qui appartiennent aux artistes.

Le programme dont nous venons d’esquisser vaguement les proportions exigerait un rare assemblage de connaissances. Mais n’est-il pas facile aujourd’hui aux hommes laborieux et intelligens de se composer par des emprunts un véritable trésor encyclopédique ? Le savoir, d’ailleurs, n’est pas ce qui manque à Frédéric Schlegel. En fait d’histoire, de psychologie, de philologie, de naturalisme, ses acquisitions sont immenses ; c’est pour cela peut-être qu’il en dispose sans économie. On dirait qu’il obéit moins au désir de grouper des preuves et de fonder un enseignement, qu’au besoin de se soulager au plus vite en allégeant son bagage de penseur et d’érudit. Ainsi que nous l’avons dit, au lieu d’établir une déduction philosophique, il n’a fait qu’un plaidoyer en faveur d’une doctrine. Il y a plus : le fil mystique, engagé dans le pêle-mêle des citations, se rompt et disparaît plus d’une fois. Selon l’auteur, quatre forces luttent dans le monde et déterminent la progression historique : la nature ou la force matérielle, la volonté individuelle, le principe mauvais sur lequel on désirerait quelques explications, et la puissance divine qui doit délivrer la race humaine, et la conduire finalement au régime de la confraternité religieuse ; mais ces quatre forces ne se montrant jamais en action, il devient impossible d’en calculer l’énergie. Pour conclure, l’ouvrage de M. Schlegel est loin de justifier son titre ambitieux. En ne se présentant que comme un précis historique, il se placerait avantageusement dans la foule des écrits de ce genre. Dans ce cas, il faudrait louer une érudition abondante, une pénétration peu commune, un sentiment si élevé, qu’il finit trop souvent par se perdre dans les régions du mysticisme. Les remarques critiques atteindraient certaines classifications qui nous paraissent fort contestables, et ne peuvent servir qu’à engendrer des idées fausses. Par exemple, après avoir établi quatre groupes dans la première époque du monde, l’auteur déclare que l’élément prédominant chez le Chinois, c’est la raison ; chez l’Indien, l’imagination ; chez l’Égyptien, l’entendement ; chez l’Hébreu, la volonté. La famille persane, par laquelle doit s’opérer une transition, participe aux divers caractères des nations primitives. En vérité, si le sage siècle est jugé digne plus tard d’être caractérisé, ce sera par la manie de la généralisation, la tendance