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M. de Hammer consulte de préférence, reprochent à ce prince d’avoir semé imprudemment les premiers germes de dissolution. Un écrivain turc, Khotschibeg, qui doit à un ouvrage sur cette matière un titre non moins honorable pour notre littérature que pour lui-même, celui de Montesquieu turc, signale cinq causes de décadence. Souleiman, dit-il, s’abstint le premier de paraître aux séances du divan, et se contenta de les suivre derrière la fenêtre voilée. En dérobant sa personne aux regards, à l’exemple des anciens despotes de l’Orient, le souverain ne relevait le prestige de la majesté royale qu’aux dépens de son autorité réelle. La seconde faute est d’avoir nommé ses favoris aux grandes dignités sans qu’ils eussent traversé la série des fonctions secondaires, comme on l’exigeait précédemment, de sorte que, dans la suite, le bon plaisir du maître devint un titre suffisant pour les charges qui exigent les garanties du mérite et de l’expérience. Un autre grief est l’intervention du harem dans les affaires de l’état, influence corruptrice conquise au profit des favorites par les charmes irrésistibles de la célèbre Roxelane. Le juge sévère termine par le double reproche d’avoir enrichi les grands de l’état par de folles prodigalités, et d’avoir souffert que ceux-ci trafiquassent des emplois secondaires pour satisfaire les tentations toujours renaissantes du luxe et des vices qu’il entraîne. Telles sont donc, de l’aveu des Ottomans, les principales causes de ruine. Mais, à nos yeux, le mal est plus grave encore : c’est un vice organique et irrémédiable. C’est que ce qu’on appelle par inadvertance la nation turque n’est pas réellement une nation. La nationalité d’un peuple ne se trouve constituée que par un accord d’intérêts et de sentimens, par une tendance, soit raisonnée, soit instinctive, vers la réalisation d’une œuvre commune. Qu’on observe les sociétés chrétiennes, et on verra qu’elles ont travaillé sans relâche à la transformation du monde ancien. On verra que les bouleversemens, les institutions, l’étonnante activité d’esprit des Occidentaux, n’ont jamais été qu’un acheminement vers un but qui paraît être l’égalité politique, c’est-à-dire le libre développement des facultés de chacun et le bien-être général garanti par l’heureuse harmonie du droit et du devoir. Il est à remarquer surtout que les grands états de l’Europe ne sont pas mis en péril par les fautes de leurs chefs, que la force aveugle peut changer les gouvernemens et la ligne des frontières, mais que la communauté nationale n’en subsiste pas moins pour marcher vers l’accomplissement de ses destinées. Un pareil phénomène est-il donc possible dans une agglomération de quatorze millions d’hommes, suivant la plus récente estimation, où les vrais Turcs, la race conquérante, comptent à peine pour un vingtième, où la masse est partagée en peuplades rivales, Slaves, Albanais, Grecs, Arméniens, Francs, un tiers au plus mahométan, le reste réparti entre les différens