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n’a pas été imprimé, en France du moins. Une Histoire des Wandales, qui est demeurée en dehors des concours pour n’avoir pas été envoyée à temps, eût sans doute séduit les juges qui mesurent le mérite par le nombre des textes cités. À nos yeux, le lourd volume de M. Marcus n’est qu’un amas de matériaux préparés au profit d’une main plus habile. Un seul livre entre tous ceux qu’un intérêt de circonstance fait éclore, présente les caractères d’une œuvre durable : C’est l’Histoire d’Espagne, depuis l’invasion des Goths, jusqu’au commencement du xixe siècle, par M. Rosseeuw Saint-Hilaire[1]. Ses titres à une honorable distinction sont l’étude des documens originaux souvent faite sur les lieux, une érudition sévère, et surtout un sentiment vrai de la composition historique. Le premier volume, qui en promet cinq ou six autres, inaugure dignement l’entreprise. Après un coup d’œil jeté sur la configuration physique du pays, et des recherches sur les deux familles primitives dont la fusion est constatée par le nom de Celtibères, l’auteur commente les rares témoignages de l’antiquité sur la domination successive des Phéniciens, des Grecs et des Carthaginois. Vient la conquête romaine, et dès-lors on trouve les secours, ou plutôt les leçons des grands historiens de la Grèce et de Rome, Tite-Live et Plutarque, Polybe et Appien. Mais l’historien moderne est dans ses emprunts d’une réserve presque respectueuse ; on dirait qu’il songe moins à ranimer Scipion, Viriathes et Sertorius, qu’à rappeler les portraits consacrés de ces grands hommes. À l’apparition des Barbares, la scène s’agrandit : le récit s’anime et se colore. Mais aussi, quel spectacle pour l’imagination, quel abîme pour la pensée ! Une engeance brutale et vagabonde se laisse discipliner par de pauvres prêtres ; la force aveugle se soumet à l’intelligence, pour pulvériser les ruines gênantes de l’ancien monde, et enfoncer dans un sol trempé de sang, la base des sociétés à venir. Une race, entre toutes celles qui concoururent au grand œuvre, a dû être particulièrement étudiée ; c’est un groupe de la famille gothique, établi au commencement du ve siècle sur les bords du Danube. Déplacé violemment, par le choc des Huns, il retombe de tout son poids sur l’empire romain ; l’Espagne lui est offerte pour rançon, à condition de la disputer aux Alains, aux Suèves et aux Wandales, qui déjà l’ont envahie. La marche des Goths, leur station d’un siècle dans le midi de la Gaule, leur expulsion au-delà des Pyrénées par Clovis, leur conversion au catholicisme sous les rois de Tolède, les révoltes, l’affreuse dépravation qui les laissent épuisés, quand surviennent les Arabes ; en un mot, les points décisifs dans leur existence de trois cents ans, sont consignés dans toutes les histoires ; mais dans celle de M. Rosseeuw Saint-Hilaire,

  1. Tome ier in-8o, prix : 8 francs. Chez Levraut, rue de La Harpe, 81.