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LA PRESSE FRANÇAISE.

C’est plutôt un besoin du siècle qui détermine en un sens donné l’activité des esprits ; c’est une passion contagieuse, pour ainsi dire, qui se déclare partout, mais qui tourmente plus particulièrement les hommes distingués par l’intelligence. Les progrès de l’astronomie et de l’art nautique au XVe siècle permettant les voyages de long cours, les puissances maritimes durent songer à s’emparer du commerce de l’Orient, qui s’était fait jusqu’alors, au profit de Venise, par la Perse et la Méditerranée. Mais pendant que de hardis marins tentaient le littoral africain dans l’espoir de gagner la mer des Indes, la science entrevoyait la possibilité d’arriver au même point, en marchant directement à l’ouest. La sphéricité de la terre avait été annoncée chez les anciens par les pythagoriciens, par Aristote, Strabon, Sénèque, Macrobe. Cette opinion, confirmée par les Arabes, divulguée par les travaux de Dante, de Roger Bacon, d’Albert-le-Grand, de Vincent de Beauvais, de Pierre d’Ailly, était généralement admise. La conclusion dont on fait honneur à Christophe Colomb sortait si naturellement de ce principe, qu’elle dut frapper plusieurs esprits. Mais quelle distance à parcourir, quels dangers à prévoir, quelle direction, quelle tactique à suivre au milieu de l’Océan ? Telles étaient les véritables difficultés du problème, et elles ne pouvaient être résolues que par un homme joignant, comme le Génois, aux connaissances théoriques de l’époque, l’expérience de la mer. Il nous paraît donc assez futile de rechercher aujourd’hui si l’idée d’atteindre le levant par le couchant a germé d’abord dans la tête de l’astronome Toscanelli, ou du négociant Martin Behaim, ou de quelques autres, dont M. de Humboldt nous apprend les noms. La gloire de l’entreprise ne saurait être disputée à celui qui en a calculé les chances pendant vingt ans, que n’ont ébranlé ni les moqueries, ni les refus humilians, ni les menaces d’une mer inconnue. Si une réclamation devait être admise, ce serait seulement en faveur de ceux qui n’en sont pas restés aux théories impuissantes, et il serait juste alors d’inscrire en première ligne le nom d’un Français dont l’audace et le bonheur ont propagé le goût des découvertes maritimes. Nous voulons parler de Jean de Béthencourt, seigneur normand ou picard, chambellan du roi Charles VI, et neveu du grand amiral de France. Les anciennes relations s’accordent à dire que, fatigué de nos discordes civiles, il préféra s’aventurer sur l’Océan, à la recherche des régions inconnues ; mais que naviguant à ses propres coûts et dépens, l’insuffisance de ses moyens ne lui permit pas de s’avancer beaucoup vers l’occident, comme il en avait l’intention ; qu’ainsi fut-il forcé de se jeter dans les îles Canaries, dont il prit possession en 1402, et dont il obtint plus tard la souveraineté. Nous avouons que cette assertion des vieux historiens ne repose pas sur des témoignages bien précis, et nous ne l’eussions pas relevée, si,